Drôle de vie que celle de Jafar Panahi. Il n'a pas le droit de sortir de l'Iran, son pays. Mais il n'a pas non plus le droit de travailler en Iran, son pays.... Alors il zone. On l'a vu zoner au volant de son taxi, à Téhéran.... Et maintenant, le voilà au volant de son 4 X 4, dans un magnifique thriller ethno-sociologique, loin, très loin de la grande ville, dans une province déshéritée, au nord, où les gens parlent turc et ne comprennent guère le persan. Jafar, qui est azéri, arrive à se faire comprendre.
Tout est venu d'une vidéo reçue par Jafar, mais destinée à Behnaz Jafari, une actrice de séries télévisées apparemment très populaire. C'est l'appel au secours d'une très jeune fille, Marziyeh (Marziyeh Rezaei) dont le rêve est de devenir actrice, comme Behnaz. Elle l'a déjà appelée de nombreuses fois (Behnaz ne s'en souvient pas). Elle a passé le concours d'entrée au Conservatoire; sa mère l'a emmenée en cachette, sûre qu'elle ne serait pas acceptée. Mais si! Et la honte est retombée sur la famille, maintenant que tout le village sait que Marziyeh veut devenir saltimbanque! Son frère veut la tuer; sa mère, la marier...Pour le village, c'est celle par qui le scandale arrive.
La vidéo se termine par le suicide par pendaison de la jeune fille.
Behnaz est bouleversée, elle quitte le tournage auquel elle participait. Elle ne veut rien avoir à voir avec cette histoire, c'est un truquage, un coup monté, peut être par Jafar lui même, qui sait, comme toutes les actrices, elle est volcanique, et même un peu peste... Une seule solution: aller dans la province perdue sur les traces de Marziyeh.
Loin de tout.... des successions de collines pelées, entre lesquelles serpente un chemin de terre étroit -on ne peut souvent pas se doubler, rocailleux, plein de nids de poule.... On se demande comment les gens survivent, où ils peuvent mener paître leurs troupeaux de moutons. Pas de routes, pas de réseau téléphonique, pas de médecin.... la parabole pour la TV est la seule chose qui les rattache à la modernité. Mais les visiteurs sont très bien reçus, on les invite à entrer, on leur offre le thé; tout le monde reconnait Behnaz. On est accueillant naturellement, et puis aussi avec l'arrière pensée que des gens aussi connus pourraient plaider leur cause.... Que pensent ils de la liberté que prennent ces deux personnes non mariées de voyager ensemble? Ils s'en fichent, du moment qu'il ne s'agit pas de leurs filles! ce sont des gens de la ville, des artistes qui ont forcément des moeurs extravagantes.... Mais on ne pardonne rien à cette ancienne actrice du temps du Shah, qui chantait et dansait sur scène, sans voile et même certainement avec des tenues aguichantes! Celle là, elle est pestiférée, rejetée à l'extérieur du village.....
Jafari les décrit avec un mélange de tendresse et d'ironie. Il les fait beaucoup parler, et tout ce qu'ils disent sonnent juste.
Il n'y a pas un mot de critique politique dans ce film; rien qui empêcherait de le diffuser en Iran. Sauf que montrer ces provinces de misère, ça fait mauvais effet; sauf que montrer comment l'ignorance et le fanatisme qui y régnent, (à l'insu même de ces braves gens qui pensant juste qu'ils font les choses comme on les a toujours faites, comme il faut les faire) écrasent les femmes, ça aussi fait mauvais effet. Espérons qu'avoir été l'héroïne du film du vilain petit canard ne nuira pas à la carrière ultérieur de Behnaz Jafari....
Film passionnant (n'oubliez pas son petit côté thriller!) qu'il ne faut rater sous aucun prétexte!