Film politique ou que filmer quand il est interdit de faire des films ? Et pourtant Panahi n’ a pas vraiment le choix, il doit partir à la recherche d’une adolescente accompagnée de l’actrice Jafari, cette dernière est destinataire d’une video selfie sur laquelle la jeune fille est en train de se pendre. Elle rêve d’une carrière de comédienne dans une école de Téhéran où elle a réussi le concours d’entrée. Ses parents, n’acceptant pas que leur fille devienne une « saltimbanque » l’en empêchent. Mais c’est surtout l’ensemble des villageois qu’ils redoutent, eux qui ont mis à l’écart une ancienne actrice-chanteuse vivant désormais recluse , dont on ne verra pas le visage et frappée définitivement du sceau du déshonneur. Un premier miroir vient mettre en parallèle la situation de la jeune Marzihey et celle du réalisateur : tous deux sont interdits de tournage. La caméra dans une voiture devient un moyen d’enquêter : où est passée Marzihey ? Est-elle morte et déjà enterrée à la hâte, de façon honteuse par sa famille ? A-t-elle simulé cette mise en scène ? En quel cas, elle attesterait de l’excellence de son jeu. Le passage de J . Panahi et de la grande actrice de série Jafari est de nature à susciter des sentiments plus que contrastés dans ce village où l’on n’accède qu’en respectant un rituel de klaxon particulier. Où l’on reste une nuit supplémentaire pour cause de taureau couché sur la voie. A l’arrivée, le premier mouvement est la reconnaissance et d’admiration : embrassades, selfies, les enfants sont émerveillés devant l’actrice, puis c’est le rejet à l’évocation de Marzihey. La caméra devient aussi une arme défensive, elle protège de la parole barbare et qui sait, de la mort. Panahi préfèrera dormir dans sa voiture (chambre noire) plutôt que d’accepter l’hospitalité incertaine de ces hommes. La mise en scène est brillante : jeux de miroir, mise en abyme, chasse au trésor… Panahi ne cesse de jouer avec le spectateur : derrière une porte qui s’ouvre, on ne sait jamais quel visage va nous accueillir : le fou ? ( frère de Marzihey), caricature grotesque de la violence des hommes, la mère hospitalière et bienveillante, le père qui ne s’avère pas être si terrible. Si La population est foncièrement patriarcale (les hommes décident, vont au bar, se font servir et transmettent la tradition), le récit de la circoncision et la volonté de transmettre le prépuce à un homme « viril » qui se fait par le biais du conte parvient à en adoucir l’âpreté . L’écoute attentive de Jafari permet de déconstruire le récit, d’en attester sa profondeur et finalement d’en désactiver la violence. La voiture repartira pleine, y emportant notamment le saint prépuce, symbole de traditions rurales qui va s‘échouer à la ville. Chacun des ces trois visages féminins est tour à tour un élan de vie qui les porte en dehors du film- chacune de ces femmes est en vacances de tournage- et dans le film puisqu’elles en sont la chair, l’âme, la pellicule.