Ce film pathétique est une tragi-comédie courtelinesque qui met en scène le milieu de la bourgeoisie parisienne du cinéma, démontrant ainsi à son insu qu’il n’est pas forcément plus facile de bien parler de soi que d’essayer de s’intéresser aux autres. Ainsi, la préoccupation centrale des personnages n’est nullement de tenter de survivre dans la France de Macron, ou de savoir si la planète sera encore habitable quand les enfants seront adultes, mais de s’établir individuellement dans la position prestigieuse de l’écrivaine, de l’actrice ou de la réalisatrice. Dès les premiers moments, on constate que la responsabilité sociale de la psychanalyste vis-à-vis de patients qui se confient à elle depuis des années ne pèse pas lourd devant son caprice existentiel, devenir écrivaine, qui semble d’ailleurs n’être qu’une posture puisqu’elle ne trouve rien à écrire. Cela nous est notamment signifié par une scène maniériste où l’écrivaine auto-proclamée en panne d’inspiration est dans son bain, devant la page blanche du traitement de texte de son Macbook, car tout est Apple dans ce film (simple parti pris du chic, ou contribution intéressée à l’éloge des marchandises vedettes ?). Scène qui a l’avantage de montrer l’anatomie de l’actrice principale au public qui après tout vient peut-être pour ça. Car casting prestigieux oblige, il faut bien se préoccuper du retour sur investissement, et il serait malvenu d’ignorer le voyeurisme du spectateur moyen. D’où la multiplication des scènes de sexe parfaitement gratuites et à vrai dire fort peu appétissantes.
Survient alors l’inspiration en la personne d’une starlette renfrognée consciente qu’il lui faut une bonne couche de maquillage, une bonne coiffeuse de plateau et une robe couture pour paraître ce qu’elle aspire à être, et qui a bien compris qu’il lui faut payer de sa personne pour parvenir à ses fins (toute ressemblance avec des personnages réels est purement fortuite). Dans ce monde où la « common decency » orwellienne n’a évidemment pas cours, chacun s’abandonne à ses instincts sans aucune retenue, et en gère ensuite les conséquences en termes de carrière. C’est ainsi que la starlette, au motif d’une relation passionnelle avec l’acteur principal du film dans le film, à laquelle on n’arrive pas à croire une seule seconde, se retrouve enceinte et confrontée à ce choix cornélien : la carrière ou l’enfant. Dans la frénésie carriériste qui possède les personnages principaux, c’est-à-dire féminins, on connaît d’avance le dénouement. Mais la starlette cherche à se défausser de la responsabilité de cette décision déjà prise, et de plus elle craint la réaction du père, qui s’annonce d’autant plus délicate qu’on ne lui demande pas vraiment son avis. C’est ainsi qu’elle surgit dans la vie de la psychanalyste en mal d’écriture, laquelle y voit une solution providentielle à son absence totale d’inspiration. On se demande bien pourquoi tant la situation est banale et la starlette inintéressante. Passons sur le fait qu’aucun psychanalyste respectable ne se serait fourvoyé dans de tels errements. Sous prétexte de psychanalyse (c’est plus chic), on est en réalité dans un salmigondis de coaching et de développement personnel qui, à défaut de tout corpus théorique repose sur le charisme du coach et son entière adhésion à l’idéologie entrepreneuriale : la carrière d’abord.
S’ensuit alors une véritable comédie de boulevard à quatre sur l’île de Stromboli, choix dont on se demande s’il s’agit d’une référence érudite mais quand même un peu téléphonée à un prestigieux film dans le film en décor méditerranéen, ou d’un publi-rédactionnel touristique destiné à contribuer au financement du film (remerciements à Air-France, …). Les événements les plus invraisemblables s’enchainent : la psychanalyste entre dans le film dans le film, se substituant à l’acteur principal défaillant, dans le rôle d’un crooner italien, pour dérider la starlette renfrognée, puis à la réalisatrice trompée, qui s’est jetée à l’eau, excédée par ses acteurs (il y a de quoi), désertant un tournage qui fait naufrage comme le film lui-même. Tout cela est tellement ridicule que toute perspective critique devient impossible, arrive un moment où on décroche pour se laisser porter par la fascination du n’importe quoi.
Une chose est certaine : à aucun moment on ne quitte le décor des appartements parisiens chics, des villas d’architecte de grand luxe, des voiliers anciens, des plateaux de tournage. On remarque également les traces omniprésentes de tous les avatars de la gauche bourgeoise dont on sait aujourd’hui qu’elle est essentiellement bourgeoise et qu’elle fut accessoirement de gauche : individualisme forcené aux relents d’existentialisme germanopratin, ou encore le « jouissez sans entraves » de ceux qui se firent connaître comme gauchistes soixante-huitards avant de se convertir en masse au néo-conservatisme et/ou à l’ultra-libéralisme. On s’étonne également de quelques manifestations inattendues de mépris de classe qui s’articulent curieusement sur un féminisme politiquement correct de rigueur. Je n’ai pas le souvenir qu’on nous informe à quoi le mari falot, qui est pourtant le seul à soulever la question de la responsabilité de la psychanalyste vis-à-vis de ses patients, emploie son temps. Pire, le vieux schéma phallocratique est reconduit en inversant les rôles : le jeune amant beau gosse est un objet sexuel de la psychanalyste se disant écrivaine qui lui fait délicatement savoir au début du film qu’il ne l’a jamais intéressée (ou ai-je mal entendu ?). On attendra la fin du film, dans une rallonge qui vient comme un cheveu sur la soupe, alors qu’on s’apprêtait à voir défiler le générique, un « dix mois plus tard » qui résonne plus tôt comme un « dix ans plus tard », pour apprendre que le beau gosse n’est qu’un prof de lycée. On se rencontre par hasard grâce à la barbe à papa des enfants, et qu’est-ce que tu deviens, et salut à la prochaine on ne sait jamais.
Enfin, il est extrêmement significatif que le film n’accorde aucune importance à l’imposture manifeste de la psychanalyste en tant qu’écrivaine qui n’a rien à écrire et se saisit, en violation de toute règle déontologique, des confidences d’une patiente qu’elle enregistre à son insu et dont elle retranscrit littéralement les propos. Comme si la différence entre être écrivain et paraître écrivain, se dire écrivain, n’avait aucune importance. Bref, évitez-vous ce navet, consacrez plutôt ces deux heures à (re)lire « la société du spectacle » (comment l’être se dégrade en avoir, puis l’avoir en paraître), ou encore « la fabrique des imposteurs » de Roland Gori.