Bien que le film soit tiré du 2e roman de Liu LYCHANG (1918-2018), « Tête-bêche » ou « Intersection » (1972), le scénario reste simple et très conventionnel : à Hong-Kong, en 1962, 2 couples emménagent sur le même palier, l’un, Chan, louant à Mme Suen, l’autre, Chow, à M. Koo. Mme Chan [Maggie CHEUNG, 36 ans dont c’est le 4e film avec Wong Kar-wai et qui a tourné dans « Green snake » (1993) de Tsui Hark] travaille dans une agence d’import-export tandis que son mari est souvent à l’étranger (Japon notamment d’où il ramène des objets innovants tels que le cuiseur à riz]. M. Chow [TONY LEUNG Chiu-wai, 38 ans, vu dans « Les fleurs de Shanghai » (1998) de Hou Hsiao-Hsien et qui a obtenu le prix d’interprétation masculine pour ce rôle au festival de Cannes] travaille dans un journal tandis que sa femme, dans l’hôtellerie, a des horaires décalés.
Ils vont comprendre rapidement que leurs époux respectifs sont amants et décident de ne pas entamer, comme eux, une relation adultère.
Cela aurait pu être un quelconque téléfilm mais le réalisateur a su transformer et sublimer une histoire banale en un film brillant (César du meilleur film étranger en 2001) qui est une véritable leçon de cinéma : magnifique photographie en couleurs de l’Australien Christopher DOYLE (dont c’est la 6e collaboration avec le réalisateur) et du Hongkongais Mark Lee PING BING (qui a travaillé sur « Les fleurs de Shanghai » (1998)], scènes courtes filmées à travers l’encadrement de portes ou des grilles et jamais tournées au hasard, personnages filmés aussi de dos ou de profil, ambiance nocturne des scènes d’extérieurs complétant les scènes d’intérieur, robes colorées, fleuries et inventives de Mme Chan, M. Chan et Mme Chow jamais filmés, lents mouvements de caméra sans oublier la musique originale de Shigeru UMEBAYASHI (thème envoutant de Yumeji) et les chansons (en espagnol) de Nat KING COLE dont « Quizás » (1958). Tout concourt à en faire un film d’une grande sensualité mais plein de retenue et qui justifie pleinement le titre québécois, « Les silences du désir ». C’est aussi un film sur le temps qui passe (nombreux plans d’horloge), d’autant qu’il se déroule de 1962 à 1966, à Hong-Kong, à Singapour (1963) et au Cambodge (lors de la visite du Gal de Gaulle en 1966 et à Angkor Vat), c’est-à-dire pendant l’enfance du réalisateur, né à Shanghai et arrivé à Hong-Kong à l’âge de 5 ans (1963).