Il n'est pas facile de bien prendre la mesure d'une telle déflagration, d'une telle générosité de cinéma - générosité à l'endroit du spectateur, de l'esthète qui sommeille en chacun de nous, générosité envers une communauté, envers une femme, tout d'abord. Vitalina Varela, que Pedro Costa filme comme Michael Curtiz et Nicholas Ray filment Joan Crawford, c'est à dire en filmant sa fragilité comme une force surhumaine (et sa force comme une force surhumaine aussi). C'est un film qui raconte l'histoire d'une femme qui habite une maison qui ne veut pas d'elle. Et c'est tout. Les précédents films de Pedro Costa étaient pleins à craquer, celui ci est d'une simplicité désarmante. C'est un film qui creuse en surplace : une femme, des murs, des hommes autour. Un mort mal enterré, à qui il faut donner une sépulture. Jamais Pedro Costa n'avait filmé une telle solitude, jamais il n'a été aussi difficile pour ces êtres de tendre une main vers l'autre. Et jamais ces mains, ces gestes, n'ont été aussi rivées vers la mort. Pedro Costa n'a pas peur de la noirceur, des ombres ; mais il n'a pas peur de la vérité, donc de l'espoir. Quitte à creuser, aussi, dans le passé, : il y a deux flashbacks, deux plans, donc, de Vitalina Varela jeune, construisant sa maison du Cap-Vert avec son mari. Deux plans simples, courts, d'une femme qui regarde vers l'ailleurs. Et qu'importe que cet ailleurs tue, puisque ce que ces deux plans donnent à voir, c'est le jour, le soleil, qui n'existeront pas dans cet ailleurs. L'ailleurs désiré est plus noir que la vie qu'on a fui : c'est si simple et le film ne dit rien de plus. Jacques Rivette le disait très bien dans Le Veilleur : "On laissera les choses compliqués aux médiocres. Nous, nous ferons des choses simples". Il faut quelques murs et des corps debout. Et ces montagnes qui tout d'un coup se dressent, ce corps juvénile loin de l'obscurité, déjà en lutte, déjà dressé, droit sur la terre, comme s'il avait toujours été là. Je crois que jamais de ma vie je n'oublierai ces deux plans, jamais. Et ce sera tout, pour le moment.