Quelle extraordinaire idée, pour illustrer le problème des transgenres, de raconter l’histoire d’un garçon qui veut devenir ballerine ! Si extraordinaire qu’on doute fort que ce soit celle de Lukas Dhont. A moins qu’il n’ait voulu aller au bout des souffrances qui se cachent derrière ce mot à la mode, et des tortures extravagantes que certains sont prêts à s’infliger pour guérir leurs blessures identitaires ? Que personne ou presque ne s’en offusque est la meilleure preuve de l’exceptionnelle réussite de ce film. Un film sur la torture, donc. D’abord, la moins développée ici, mais la plus terrible sans doute, puisqu’elle génère toutes les autres, la torture d’être ou de devenir ce qu’on ne veut pas être, un homme. Puis les efforts monstrueux qu’il faut s’imposer non seulement pour pratiquer la danse classique en tant que fille, mais en tant que garçon qui veut danser comme une fille… Ne faudrait-il pas raboter ce pied énorme qu’on voit apparaître sur les premières images (en écho terrible avec les dernières), redécouper les os, les chairs, les muscles ? Et la dernière, la pire, censée réparer toutes les autres. Autant de tortures, sauf l'ultime, qui ont l’approbation des adultes, médecins prêts à accomplir la grande métamorphose du convexe au concave, bref de l’homme à la femme, professeurs de danse voulant allier la tolérance à leur lucidité, père consentant, encourageant même. A la suite de quelles terribles angoisses ? La question revient, lancinante. Il est étonnant qu’elle soit à peine posée, et qu’on ne puisse que se demander, étourdi et impuissant, si tout cela en valait l’horrible peine.