Girl est un film d’art et d’essai, on ne peut pas mieux dire. C’est la vision personnelle de l’auteur, Lukas Dhont, sur les transgenres : vision très, voire trop, centrée sur le corps ; personnage introverti… C’est son choix de l’acteur principal : Victor Polster, un adolescent androgyne. C’est sa scénarisation : ambiance non conflictuelle autour de l’ado trans à laquelle on n’est pas habitué ; l’ado qui suit deux lièvres à la fois –la danse et la féminisation, et qui finit par ne rien suivre… C’est sa façon de diriger : répétition de scènes très semblables pendant une heure ; visages inexpressifs –ce sont des canons bien nordiques ! Chacun de ces choix, personnels, pourrait être différent. Donc, il ne faudrait surtout pas croire que ce film démontre quoi que ce soit –qu’il s’agisse des ados, de la danse, des transgenres, des cisgenres, des psys, des parents, des médecins, du sexe, de l’amitié. C’est juste une réflexion sur l’identité et sur le dépassement de soi, ce qui est déjà beaucoup –d’autant que c’est une réflexion, non pas chez le premier venu –chez le marginal, vivre son identité est déjà un dépassement en soi. A ce titre, on comprend que Lukas Dhont ait gagné la Caméra d’Or à Cannes, car il mérite vraiment d’être encouragé après ce premier long-métrage difficile (on comprend moins qu’il ait eu la Queer Palm, récompense LGBT). Difficile, car saturé de souffrances : la souffrance du père (un vrai modèle de père) qui ne tire rien de son ado ; la souffrance de l’ado d’être trop fermé, y compris face à son père ; la souffrance de ne pas savoir vivre sa sexualité au présent ; la souffrance de voir sa métamorphose physique perpétuellement différée ; la souffrance de s’exhiber devant ses condisciples à l’école ; la souffrance des pieds du danseur surtout (celle-là on la voit bien) ; la souffrance enfin de ses génitoires scotchés ; et jusqu’à ce bruit d’os de poulet qu’on brise, à la fin (après les dizaines de plans si « David Hamilton » depuis le début). Difficiles, toutes ces souffrances, mais remarquablement filmées. En contrepartie de quoi, elles semblent trop filtrées, épurées, comme refroidies et refroidissantes. Au point qu’on se sente presque dans la peau d’un anatomiste qui dissèque. Au point qu’on prenne la distance comme avec un documentaire. L’effet recherché ? L’effet Lukas Dhont, tout à ses recherches personnelles ? L’effet Victor Polster, sublime, mais emmuré dans ses sourires mous ? Ce film n’est pas pour les amateurs de thrillers, de pleurs, de rires, bref de sensations fortes –ces amateurs s’étonneront en sortant de ne pas avoir été émus plus que ça.