Présenté au festival de Cannes 2018 hors compétition officielle, ‘’Girl’’ est un premier film réalisé par le belge Lukas Dhont. Il y reçut la Caméra d’or (meilleur premier film toute compétition confondue) et l’acteur Victor Polster remporta quant à lui le prix d’interprétation de la section Un Certain Regard. Deux prix mérités même si on peut contester le prix de la Caméra d’or en tant que tel, puisque ce dernier désactive presque automatiquement la possibilité de voir un premier film remporter la Palme d’or. Si ‘’Girl’’ avait été en sélection officielle, qu’il n’était pas un premier film, nul doute qu’il aurait été haut dans le palmarès.
Lara est une jeune adolescente dont le rêve est de devenir danseuse étoile. Elle est décidée et encouragée par son père. Mais Lara, si elle est femme dans son esprit, est née homme. Elle suit donc, parallèlement à son difficile apprentissage artistique un traitement pour changer de sexe.
La rumeur enflait autour de ce film. Le danger, c’était de se retrouver devant un film ‘’à sujet’’, qui ne fait que se cramponner à son sujet. Sujet qui, bien évidemment est dans l’ère du temps. Oui, car, on a beau dire, le terme du changement de sexe et de la transsexualité, on commence à y être rôdé. Aujourd’hui, un film ne peut plus se contenter de se reposer uniquement sur ces thématiques, car le risque de tomber dans la banalité est de plus en plus présent (ainsi ‘’Une femme fantastique’’ de Sebastiàn Lelio, sorti en 2017 avait également un protagoniste transgenre). Il faut donc observer ces thèmes sous un nouvel angle, pour livrer une impression d’originalité. C’est bien ce que fait Lukas Dhont. ‘’Girl’’ est un film construit en deux temps. Il y a le premier temps, où Dhont désactive à bon escient les éventuels conflits dramatiques si souvent liés à ce genre de film. Non, une personne en transition n’en souffre pas forcément. Non, une personne transsexuelle n’est pas nécessairement victimes de brimades à l’intérieur ou à l’extérieur de sa famille. Au contraire, Lara est acceptée de tous et son futur changement de sexe ne pose aucun problème à personne (étant déjà dans son esprit très féminine depuis un bon bout de temps). Puis, il y a le deuxième temps. Cette fois-ci, la machine semble déraper : un malaise apparaît chez ce personnage qui trouve que le traitement prend trop de temps. Que les choses soient bien claires : le réalisateur n’a pas voulu dire que le changement de sexe implique d’inévitables grandes souffrances pouvant parfois très mal finir. Bien qu’il y ait une dimension incontestablement réaliste et naturaliste, Dhont n’a pas voulu faire un documentaire sur la vie d’un transgenre. Au contraire, le film adopte une structure très romanesque : une première partie paisible, et une deuxième où une bascule s’opère vers quelque chose de plus dramatique. L’originalité est encore de mise dans cette deuxième partie : les problèmes qui naissent autour du personnage de Lara ne sont absolument pas le fruit du regard des autres (qui, encore une fois acceptent ce changement), mais de son propre regard à elle. Ainsi, le mal qu’une personne ressent est-elle forcément du fait des autres ? Pas ici, car à part une scène où Lara est brusquée par ses camarades de danse (pas la meilleure séquence d’ailleurs), c’est finalement dans l’esprit même de l’héroïne que quelque chose se détraque. Et à l’heure où les réalisateurs moralisateurs prolifèrent pour nous expliquer à quel point l’humanité que nous sommes est intolérante et enfermée dans ses codes rigides, le regard sans jugement de Dhont fait du bien.
Mais la capacité du film à s’échapper des pièges qui lui étaient tendus peut s’expliquer par le thème central du film. Dhont n’avait pas non plus à s’appesantir sur, au choix le thème de la transsexualité ou de la danse (aussi au centre du film) car la vraie richesse de ‘’Girl’’ ne se situe pas à ce niveau là. Le film est en fait un film sur la souffrance. Nous sommes en effet conviés à la tourmente qui va naître chez Lara. Cette souffrance, elle s’exprime dans ce corps, qui tend à se métamorphoser, à se changer et même dans un cas extrême à se dégrader (par exemple pendant les cours de danse où les pieds de Lara sont en sang). En ce sens, ‘’Girl’’, c’est comme si David Cronenberg s’était décidé à faire du cinéma (beaucoup) plus naturaliste. Car si les différences sont bien entendu évidentes, il est aussi possible de relever des points communs entre ‘’Girl’’ et le cinéma de Cronenberg. Nous sommes dans des films où les maux ne naissent pas de l’entourage du héros, mais proviennent de son état d’esprit, de son mental. Car, si drame il y a dans ‘’Girl’’, c’est uniquement dû à son héroïne, hantée par la peur de voir l’opération échouer. Dès lors, la détresse de l’héroïne va se propager tel un virus partout. Dans son corps (via les scènes de souffrance, où l’on distingue clairement les marques sur le corps meurtri de Lara) mais aussi dans la réalisation de Dhont. Les séquences de danse dans le premier temps captent toute la motivation et le talent de Lara. Puis, dans le deuxième temps, le visage crispé de Lara, l’étouffement procuré par cette caméra portée et les chutes viennent traduire toute la souffrance de Lara.
Et l’horreur, quand à elle atteint son apogée chez Cronenberg à la fin, quand la déformation du corps est aboutie. Idem ici, quand dans la scène la plus insoutenable, Lara décide d’en finir avec sa dernière part de masculinité en se castrant. Et qu’au réveil, à l’hôpital, le visage encore inquiet de Lara semble, filmé à travers une vitre se dédoubler, la partie masculine de Lara la quittant enfin (effet très cronenbergien, s’il en est)
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Via sa mise en scène au cordeau, via le talent de son jeune acteur (Victor Polster, un vrai danseur), via enfin l’apparente simplicité du scénario, ‘’Girl’’ parvient à saisir toute la douleur de Lara. Jamais misérabiliste et souvent trouble, le film montre quel degré de souffrance l’homme peut atteindre pour devenir ce qu’il veut.