Girl a fait débat : un acteur cisgenre est-il légitime dans un rôle de transgenre ? la scène finale, pouvant participer à représenter la transidentité comme une maladie mentale et l’automutilation comme une fatalité, est-elle morale, voire responsable ? l’œuvre risque-t-elle de causer plus de problèmes qu’elle ne veut en régler ? Bref, Girl se place sans surprise dans la mouvance d’un mouvement LGBT+ qui secoue la société et remet tout en question. Ses questions sont simples, brutes et dures, et le film y répond sans nuances, avec compassion et violence.
Qu’on ne s’y trompe pas : le sujet me concerne et le visionnage de cette œuvre faite pour choquer a par moments été à la limite du soutenable. Heureusement, en un sens, car c’est à travers la peine qu’on peut avoir à le voir que le film de Dhont nous rappelle qu’on est humain, et suscite la compassion. De mon côté, j’en ai eu autant pour le personnage de Lara que pour les spectateurs qui ne le comprendront pas : peu pédagogique, Girl peut laisser avec plus de doutes et de questions qu’on en avait au départ. En ça, j’ai la certitude que oui, le film fera du mal : aux transgenres, aux transphobes, et à la société en général.
Quoique je sois incapable de mesurer cet impact, et même si le négatif devait l’emporter vraiment sur le positif, telle est néanmoins ma conviction : c’est dans la douleur qu’on grandit, et une société qui change est une société qui souffre. Girl parle de ces souffrances. Qu’on soit trans ou non, homme ou femme, et quel que soit notre ressenti sur l’œuvre, c’est tant mieux si l’on en sort mal à l’aise. C’est que quelque chose nous tient à cœur ; que ce quelque chose soit de la haine, de l’incompréhension ou de la compassion importe peu au final, car Girl nous remet les idées en place et nous donne à tous une chance d’en faire quelque chose de meilleur. Sans dire que le monde a besoin de plus de films comme celui-ci, je pense que son influence sera bénéfique sur le long terme.
Quant au fait que Lara soit joué par Victor Polster, je n’y vois ni plus ni moins que de l’inclusivité. Mieux que ça : ne connaissant pas le film au préalable, je croyais que l’acteur était une actrice transgenre, et j’avais du mal à croire qu’un tel degré de féminité pouvait être atteint avec si peu (sans traitement hormonal, par exemple). Une belle démonstration d’acting, et du fait que Girl peut apprendre des choses à tout le monde. De plus, on ne déconstruira pas les barrières sociales sans les traverser de temps en temps pour voir comment c’est "de l’autre côté", et ce choix de casting n’est qu’une des preuves que Dhont donne que c’est possible (ça manque), ainsi que de son propre courage.
En somme, on pourrait croire que je qualifie Girl de "mal nécessaire", mais je vais plus loin : est-il vraiment un mal ? Les douleurs et l’inconfort que cela nous cause de le voir sont les symptômes d’une société qui fait encore certaines choses de travers, or il faut qu’on sache que ces erreurs et ces sentiments existent pour espérer pouvoir y changer quelque chose. Je ne pense pas qu’il soit mal de prendre conscience de ça. Certes, c’était un visionnage difficile et désagréable, mais il m’a donné de la fierté en proportion pour tous ceux qui traversent et survivent à ces sentiments au quotidien, et pas juste deux petites heures au détour d’un parcours de cinéphile. C’est ça, la fierté LGBT.