Avant de réaliser son premier long-métrage, le belge Lukas Dhont a pris le temps. C’est un article lu, en 2009, dans un journal flamand, qui a tout déclenché. Il y était question d’une jeune fille de 15 ans qui voulait devenir danseuse alors qu’elle était née dans un corps de garçon. Contactée, la femme qui avait raconté, dans cet article, sa propre histoire ne voulait pas paraître dans un film. Pas question, par conséquent, de faire un documentaire, mais, pour Lukas Dhont, il était inconcevable d’abandonner un projet qu’il percevait quasiment comme une obligation : filmer une adolescente de 15 ans capable de choisir sa propre identité sans se soucier du regard des autres.
Pour parvenir à ses fins, encore fallait-il trouver un acteur apte à incarner un rôle aussi difficile. Ce fut chose faite avec le jeune Victor Polster, lui-même danseur à l’École royale de ballet d’Anvers, un acteur omniprésent durant tout le film et admirable de crédibilité. Certes le garçon est danseur, mais on imagine le travail qu’il a dû accomplir ne serait-ce que pour apprendre à danser à la manière d’une fille et non plus comme un garçon. Le résultat est fabuleux, incroyable de vraisemblance.
Son histoire, ou plutôt l’histoire de Lara, le personnage qu’il incarne à l’écran, se déroule, par conséquent, sur les plateaux de danse avec des professeurs, dans les vestiaires avec les autres danseuses, mais aussi dans le bureau des médecins et dans l’appartement familial. Lara a la chance, peut-on dire, d’être entourée de personnes bienveillantes, à commencer par son petit frère qui murmure son prénom au début du film et, surtout, par son père, très présent pendant la totalité du long-métrage (pas trace ni mention de la mère, par contre, curieusement – c’est la grande absente !). La relation de Lara avec son père n’est pas simple du tout, malgré l’attitude compréhensive de celui-ci. On a affaire à une adolescente pour qui il ne va pas de soi de parler de son intimité avec son propre père. Quant à ce dernier, on peut estimer que ses questions sont, par moments, trop intrusives, mais il ne fait pas de doute que, malgré ses maladresses, il se soucie d’abord et avant tout du bien-être d’une fille qui ne s’accepte pas telle qu’elle est.
Mais la prévenance n’est pas l’apanage du père. Une fête de famille se déroule sans la moindre anicroche. Les médecins peuvent certes se montrer sévères, mais uniquement par souci d’accompagner pour le mieux la jeune transgenre. Quant aux danseuses, hormis lors d’une scène dérangeante qui en montre quelques-unes faisant preuve d’une curiosité inconvenante, elles paraissent plutôt indulgentes.
Le vrai combat que mène Lara n’est pas dirigé contre les autres mais contre elle-même, contre ce corps mis à l’épreuve par des exercices de danse qui le meurtrissent (les orteils blessés à force de danser à la manière des filles, c’est-à-dire en faisant des pointes) et, en particulier, contre ce sexe masculin, ce pénis dont elle ne veut plus et qu’elle s’emploie, chaque jour, à comprimer avec des rubans adhésifs ! Lara souffre de voir son corps qui ne se transforme pas assez vite, malgré les hormones qui lui sont prescrites. Et lorsque, à la fin du film, alors qu’elle est à l’hôpital, elle voit son reflet trouble, dédoublé, dans un miroir, elle devine peut-être que, sa vie entière, il lui faudra s’accepter ainsi, fille qui est née avec un corps de garçon.
Le sujet avait déjà été traité au cinéma, certes, mais le film de Lukas Dhont n’en garde pas moins son originalité, ne serait-ce que parce qu’il met en scène une adolescente, avec tout ce que cela suppose de difficultés particulières. Grâce à la performance de Victor Polster et aux excellents choix de mise en scène du réalisateur, on ne peut qu’en ressortir bouleversé