Le génocide de 1994 au Rwanda ne s'est pas arrêté avec la victoire de l'armée à majorité Tutsi : le conflit s'est déplacé au Kivu, dans le Congo voisin, qui fut embrasé par des guerres successives opposant dans la jungle des factions rebelles et des armées régulières pour s'emparer des richesses minières de la région. Joël Karekezi avait 8 ans en 1994, lors du génocide au Rwanda. Son père fut massacré et il se réfugia avec sa sœur au Kivu, traumatisé par ce qu'il avait vu. Son premier film, autoproduit, portait sur le génocide : "Imbabazi, le pardon". C'est cette thématique de la miséricorde pour un avenir pacifique à construire qu'il développe avec ce deuxième long métrage, autour d'une histoire simple mais riche en rebondissements : deux soldats doivent s'aider à survivre dans la jungle, fuyant la folie guerrière des forces en présence autant que leurs propres démons.
La confrontation à la nature sauvage autant que l'évolution de la relation entre les deux hommes seront initiatiques. Ils grandissent tous deux en âme et en conscience. Le spectateur se trouve immergé avec eux dans une expérience sensorielle, une jungle aussi fascinante qu'hostile. L'absurde cruauté de la guerre apparaît d'autant plus fortement que l'environnement est, en scope, d'une fulgurante beauté. La bande-son et la subtile musique de Line Adam renforcent cette appréhension. Joël Karekezi dépasse ainsi le seul contexte congolo-rwandais pour atteindre l'essentiel : ce qui permet à l'homme en perte de repères d'envisager un avenir.
Très maîtrisé, le film profite d'une efficace coproduction internationale et d'une excellente équipe artistique et technique. Le drame supporte de vibrantes pointes d'humour et de profonds échanges, sans que les dialogues n'envahissent un récit qui laisse la part belle à l'épopée humaine et au dépassement de soi. Le tournage fut épuisant, l'équipe de 40 personnes devant parfois charrier tout le matériel en l'absence de route proche. Mais il fut aussi riche en moments rares, comme la rencontre avec un gorille ! Il faut dire que le film est tourné en Ouganda, proche de la frontière avec le Congo et le Rwanda, où des expéditions permettent d’en observer.
À la fois voyage intérieur et manifeste pour une nouvelle humanité, "La Miséricorde de la jungle" convainc par la juste distance qu'il établit avec son sujet et ses protagonistes. Il maintient une tension propice à l'attention sans tomber dans les ficelles trop visibles du film de genre. Plus encore, il décèle la vulnérabilité de ceux qui se croient insensibles et valorise l'introspection face aux drames de l'Histoire et aux tremblements de notre monde.