‘Gaz de France’, son précédent et premier film, était un objet filmique non identifié, absurde et non-sensique, un délire théorique sur la communication politique qui virait parfois à l’abstraction : quoique pas vraiment concluant dans l’ensemble, il constituait une preuve que Benoît Forgeard était un franc-tireur atypique, une sorte d’alternative (encore plus) excentrique à Quentin Dupieux et quelqu’un qui pourrait faire beaucoup de bien à la comédie française pour autant qu’il atteigne un certain seuil de renommée. ‘Yves’, plus carré, plus dans l’air du temps et qui n’a pas peur de fonctionner sur des gimmicks familiers sans sacrifier ce qui le rend unique, pourrait bien être le film déclencheur de cette métamorphose, même si on sait d’instinct que Forgeard ne sera jamais l’équivalent médiatique d’un Dany Boon ou de Toledano et Nakache. Pour de basses raisons liées à un compte en banque vide et une flemmardise de compétition, un rappeur (très) amateur s’improvise béta-testeur d’un réfrigérateur intelligent,dont l’I.A en perpétuelle expansion lui permet de gérer l’approvisionnement en victuailles et diverses autres tâches domestiques. La machine va rapidement déborder du cadre de sa mission principale, et interférer dans chaque aspect de la vie de son propriétaire, pour le meilleur et pour le pire. Ce soulèvement des machines se passe en douceur, et même avec un humour grinçant : jamais l’appareil ne devient hostile ou menaçant mais face au constat de sa propre intelligence et des résultats auxquels il parvient, il en vient à s’interroger sur ce qui la différencie vraiment de ses créateurs et propriétaires alors que ceux-ci, confrontés à l’évidence des comportement et réussites de Yves - c’est le nom du frigo - , commencent eux-mêmes à douter de la nature d’objet de leur invention. Les situation absurdes se multiplient rapidement, certaines pourraient même figurer parmi les meilleures trouvailles humoristiques de l’année, mais Forgeard se débrouille pour amener le spectateur au point où on considère comme normal et établi l’existence de ce frigidaire parlant, philosophe et envahissant, ce qui constitue généralement la preuve définitive de la réussite d’un concept décalé. On peut d’ailleurs déceler plusieurs niveaux de lecture au scénario, qu’il s’agisse d’analyser la dépendance à la technologie numérique ou une notion de création artistique qui serait spécifique à l’être humain : par exemple, les algorithmes de Yves perçoivent à un degré inaccessible au créateur humain ce qui manque à un morceau de rap pour qu’il cartonne, ce qui peut amener à un intéressant retournement de paradigme sur l’extrême prévisibilité des préférences humaines, un constat qui ferait de nous à peine plus...que des machines. Alors oui, c’est parfois encore un peu décousu, et le récit prend le parti ne pas trop brusquer le spectateur en imaginant une improbable rivalité sentimentale entre l’objet connecté et son propriétaire, ce qui ramène le film sur des rails parfois trop évidents. Il n’en reste pas moins qu’il y a plus d’originalité et de fantaisie dans dix minute de ‘Yves’ que dans cinq épisodes de ‘Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu’.