La Tresse, réalisé par Laetitia Colombani, est adapté de son propre roman du même nom paru en 2017. Le récit de ces trois femmes, appartenant à des cultures et des contextes différents, est né en janvier 2015, le jour où l'écrivaine / cinéaste a accompagné une de ses très proches amies dans un magasin de perruques : "Elle venait d'apprendre qu’elle avait un cancer et elle entamait une chimiothérapie. Elle a choisi une perruque naturelle en cheveux indiens. Je me suis alors souvenu d’un documentaire vu à la télévision des années auparavant, qui montrait comment des cheveux offerts par des pèlerins dans un temple indien voyageaient hors du pays et servaient de base à la confection des perruques."
"De là m’est venue une idée de récit sur trois continents : une Indienne qui offrait ses cheveux dans un temple, une Occidentale qui les recevait, une ouvrière travaillant ces cheveux. J’avais l’idée de la donation des cheveux dans un temple depuis longtemps, mais il me manquait les autres maillons de l’histoire."
Passionnée par l'Inde, Laetitia Colombani s'est beaucoup documentée sur la caste des Intouchables, mis à l’écart de la société alors qu’ils sont des millions : "Je me rends en Inde presque tous les ans, j’ai souvent traversé des villages d’Intouchables, et je me suis entretenue avec des membres de cette communauté et notamment des jeunes femmes – des gens à qui on ne donne pas la parole, qui sont invisibilisés, tenus à l’écart de la vie sociale. Ils sont cantonnés à leurs quartiers dans les villages, ils n’ont pas la possibilité de s’extraire de leur caste, le statut d’In-touchable est noté sur leurs papiers d’identité."
"Je ne connais pas d’autre ségrégation institutionnalisée à si grande échelle ailleurs dans le monde. C’est un phénomène qui n’évolue pas dans la société indienne. J’ai vu récemment un reportage dans lequel un coiffeur expliquait qu’il préférerait mourir plutôt que de laisser un Intouchable entrer dans son salon car alors le déshonneur s’abattrait sur sa famille. Cela montre à quel point cette tradition est vivace."
Après la parution du livre, Laetitia Colombani ne s'attendait pas à un tel accueil et encore moins à ce que des producteurs lui proposent de l’adapter. Elle se rappelle : "Une quinzaine de producteurs m’ont contactée ! Je suis convaincue que si j’avais d’abord écrit l’histoire sous forme de scénario, on m’aurait dit que le projet était trop compliqué à monter. Olivier Delbosc et Marc Missonnier ont été courageux et tenaces car ils ont réussi à réunir le financement du film en plein Covid."
Laetitia Colombani voulait absolument tourner dans les trois langues et les trois pays du livre. Elle a ainsi fait appel à un directeur de casting dans chaque pays, et Michaël Laguens en France a supervisé l’ensemble des trois castings qui se déroulaient en parallèle : "Pour Smita, je ne voulais pas d’une actrice de Bollywood, mais d’une comédienne à la peau foncée comme les Intouchables. Mia Maelzer vient du théâtre et a joué dans The Field, un court métrage qui a obtenu un BAFTA, je l’ai trouvée remarquable."
"Pour sa fille Lalita, je voulais une Intouchable, pas forcément une enfant qui ait de l’expérience : le directeur de casting indien s’est rendu dans des foyers d’accueil pour enfants des rues. Il a repéré une fillette de 9 ans, Sajda Pathan, née dans un bidonville. Sajda avait la tête pleine de poux, mendiait pour manger. Elle ne savait ni lire, ni écrire. Lorsque je l’ai rencontrée, son intelligence et sa présence à l’écran m’ont impressionnée", se souvient la réalisatrice. Elle poursuit au sujet du reste du casting principal :
"Pour Giulia, la directrice de casting italienne m’a proposé beaucoup de jeunes actrices et quand j’ai vu Fotinì Peluso, j’ai eu un flash. Elle est divine ! Elle avait exactement ce que je recherchais : une beauté qui s’ignore, une sensualité qui n’est pas fabriquée, elle plaît mais elle ne le sait pas. Pour Kamal, on cherchait un comédien d’origine indienne, mais on a eu du mal à le trouver en Italie. On a engagé Avi Nash qui est américain mais vit à Londres et a tourné dans les séries The Walking Dead ou Silo."
"Pour Sarah, un agent américain nous a proposé une rencontre avec Kim Raver. Je la connaissais grâce aux séries Grey’s Anatomy et 24 heures chrono, et physiquement, elle correspondait parfaitement au personnage que j’imaginais : blonde, élancée, un physique fin mais beaucoup de force. La rencontre s’est merveilleusement passée : Kim a totalement compris le personnage, tiraillée entre sa vie personnelle et sa carrière. Dans la vie, Kim a deux fils, elle a beaucoup tourné tout en s’occupant de ses enfants."
Le tournage a été reporté plusieurs fois en raison des confinements successifs. Laetitia Colombani et son équipe se sont d’abord rendus en Inde, puis au Canada et en Italie. Au total, la production s’est étalée sur six mois : "C’était à la fois une course de vitesse et un marathon de fond. Quand on tournait dans un pays, on préparait le tournage dans le pays suivant. En raison des différents fuseaux horaires, on avait des journées de travail avec des amplitudes délirantes : on se levait souvent à 5 heures du matin pour terminer des réunions en Zoom à 23 heures. Je l’ai vécu très intensément car j’ai eu le sentiment de réaliser trois films en un."
"On a passé deux mois en Inde et sans transition, on s’est retrouvés au Canada, en perdant 35 degrés d’un coup, avec un fonctionnement à l’américaine, d’autres décors, d’autres techniciens, d’autres comédiens, si bien que c’était un exercice intellectuel et physique très fort. Enfin, on a rejoint le sud de l'Italie. Cela nous a aussi contraints à une gymnastique de langue et j’ai d’ailleurs pris des cours d’italien pour comprendre mes techniciens. J’ai savouré chacun de ces moments et j’ai beaucoup appris. Mon précédent film datait de 2008 et j’ai eu l’impression de rattraper le temps perdu tant ce tournage était foisonnant et ample."
Laetitia Colombani a travaillé avec le chef-opérateur Ronald Plante (Jappeloup, Guibord s'en va-t-en guerre, etc.) pour définir les grandes lignes esthétiques de chacun des trois pays. Ensemble, ils ont choisi des optiques et des caméras différentes à chaque fois. La cinéaste précise : "En Inde, j’ai privilégié la caméra à l’épaule, parce que j’avais besoin d’être très libre, de pouvoir improviser des mouvements, d’être au plus près des actrices et d’accueillir les accidents de parcours qui pouvaient survenir et que je voulais capter. On n’avait pas d’éclairage artificiel, on travaillait seulement en lumière naturelle."
"Pour la partie canadienne, on a opté pour des mouvements d’appareil à la Dolly ; on travaillait également sur pied pour suggérer qu’au début, Sarah est dans un désir de contrôle dans une société où tout est cadré. Visuellement, il s’agit d’une partie plus froide, dans les décors et les costumes, sans systématisme. Le cabinet d’avocat est un univers policé, où les rapports sont cordiaux, distants, normés."
"Pour l’Italie, on a choisi de filmer au Steadicam. Giulia est souvent en mouvement et je voulais qu’on la suive de manière fluide. On a accordé une grande place à la mer, aux couleurs méditerranéennes, aux costumes assortis à cette gamme chromatique, à travers le vert olive, l’ocre, le bleu de la mer et celui des blouses des ouvrières. Giulia est souvent habillée en bleu comme Kamal. On a fait ce travail en accord avec les chefs de poste, sans dogmatisme car on voulait avant tout être au service de l’histoire. Il fallait que la technique se fasse oublier mais que le spectateur ressente trois énergies différentes."