"I'm not making films, i'm juste filming" clame haut et fort à maintes reprises Jonas Mekas dans ce "film". Car effectivement le concept est là, celui auquel on peut penser, sans savoir s'il pouvait être réalisé ou non... Eh bien Mekas l'a fait. Filmer sa vie, pendant 20 ans, entre 1970 et 1990, voilà un défi de taille. Et pourtant tout y passe : des voyages de jeunesse avec sa femme au Grand Canyon à son mariage isolé à Vienne, de la naissance de ses deux enfants aux vues du quartier de Soho à New York, des retrouvailles avec ses amis aux balades l'été à Central Park...
Jonas Mekas nous livre donc sa vie. Ou du moins, une bonne partie. La qualité de l'image est certes mauvaise et peu paraître déroutante au début, mais la caméra, qui jamais se pose, tourne constamment, nous offre des moments rares. Ceux que toute famille possède, ces instants de grâce, que l'on ne veut jamais oublier. Mekas les filme avec une subtilité déconcertante.
Si les images défilent sans arrêt pendant 5 heures, les bruits, eux, ne sont pas là. Ainsi on n'entend jamais sa femme (sauf une fois, pendant 10 secondes à peine), ni sa fille, ni ses amis, non rien de tout ça. Alors que pouvait-il mettre à la place ? Parfois le silence, parfois de longues balades au piano et au violon, sûrement joué par lui-même ou sa femme, en témoignent là aussi la qualité "rustique" du son. Parfois des musiques célèbrent (comme le Lac des Cygnes) complètent l'image. Et enfin, au début de chaque chapitre (il y en a 12 au total), et à d'autres moments aussi, c'est Mekas lui-même, qui parle. Majoritairement sa voix est celle de celui qui se souvient de sa vie, et fait quelques commentaires par-ci par-là. Rarement c'est sa voix d'antan, qui voulait dire quelque chose. Ses commentaires se répètent souvent, pour dire la même chose : la dureté par laquelle tous ses souvenirs reviennent sur lui comme ça, d'un coup, le fait que rien ne se passe dans ce film, comme je l'ai dit au début aussi le fait qu'il veuille simplement filmer sa vie... Et au passage, regretter d'un ton lasse et émouvant la présence de certains de ses amis, sûrement décédés...
Pourtant je déteste la nian-nian, mais là Mekas s'y prend de la meilleure des manières, celle de la simplicité. Le vrai, le pur, ce film ne comprend aucun artifice, seulement les pensées d'un homme âgé qui revient sur son passé.
Ce film repose sur de multiples contradictions. Comme ce décalage permanent entre le son et l'image, et pourtant, à certains passages, ce film atteint des moments de grâce (je pense par exemple à la ballade en bateau autour de Manhattan avec la musique derrière). Ce film ne filme rien (tout est décousu), mais tout. Ce film n'est rien, qu'une succession d'images, sans chronologie ni rien, pourtant il y a bien 12 chapitres, avec des commentaires sur chaque...
Bref donc beaucoup de contradictions reposent sur ce film, mais franchement on s'en fout. C'est tellement admirable ce qu'il est parvenu à faire... On a tous des films préférés, "notre" élite, qui mérite bien 10/10, ce sont nos "chouchoux", et moi-même j'en ai, et pourtant face à film j'ai l'impression qu'ils sont impuissants, réduits à néant, incapable de produire un dixième de ce que Mekas a fait, tant ce qu'il a réalisé est singulier et énorme. Aucun artifice, aucune beauté recherchée dans la caméra, dans le scénario, rien de tout ça comme on en voit tout le temps maintenant dans les films, juste un mec qui, sans aucune prétention, veut filmer sa vie et la faire partager. Alors certes il choisit les moments, y met accompagne telle musique, mais c'est d'une simplicité telle que ça en est bouleversant.
Oui, ce film n'a aucune prétention, et pourtant il y a une vocation universelle. Le passé de Mekas, c'est notre futur. Nous, jeunes, pensons déjà à ces moments que l'on espère et chérira tous...
Bref un film extraordinaire, au-delà de tout, le summum en matière de cinéma, les grands films donnent des leçons de cinéma, Mekas nous livre ici une leçon de vie. Sublime.