Les années passant, le cinéma chinois commence à montrer quelques signes d’occidentalisation, ou plutôt de “coréanisation”, un modèle intermédiaire disponible dans le voisinage immédiat. Si cette mutation se fait parfois pour le pire, avec une profusion de divertissements populaires joyeusement décérébrés, certains réalisateurs semblent plus que prêts à faire bouger les lignes, même si se pose alors comme toujours la question d’une perte de singularité au profit d’une quête de lisibilité. Entre autres choses, la figure du tueur en série, vice capitaliste par excellence, n’a jamais été bien vue en Chine communiste, et c’est à ce niveau qu’il faut saluer un début d’évolution, de même que le choix d’un enquêteur atypique, qui n’est ni un héros ni un représentant de l’état mais le modeste vigile d’une usine voisine : moitié parce qu’il a fini par croire aux flatteries de ses collègues qui voient en lui un limier d’exception, moitié parce que son existence est d’une platitude à toute épreuve, l’homme va se plonger corps et âme dans la recherche de l’assassin, au risque de s’y perdre lui-même. Certes, on est encore loin de l’énergie et de la tension de ses modèles hollywoodiens, car s’il aligne les éléments réglementaires du genre, ‘Une pluie sans fin’ le fait à un rythme qui lui est propre, et qu’on pourrait à bon droit trouver somnolent : c’est que l’environnement - une zone industrielle qui ignore encore que ses jours sont comptés, et sur laquelle tombe une pluie perpétuelle - joue dans ce sentiment d’un univers gris et sinistre, à l’horizon bouché, dont il semble impossible de pouvoir s’évader : c’est que Dong Yue, en plus d’offrir un whodunit sans issue, se veut aussi commentateur des bouleversements profonds qui ont secoué son pays ces dernières décennies : ‘Une pluie sans fin’ se déroule à la fin des années 90, qui virent la Chine prendre son envol économique au prix d’un démantèlement massif et brutal des entreprises d’état, qui laissa sur le carreau des millions d’ouvriers qui avaient cru dans une utopie collectiviste éternelle. Entre ces deux ambitions, Dong Yue semble tiraillé et s’égare un peu...mais le signal n’en reste pas moins encourageant.