« Sœurs d’armes ». Un film qu'il est nécessaire de courir voir. Au sens propre. Pourquoi « courir » ? Parce qu'urgence il y a. Parce qu'à l'affiche de trop peu de cinémas, parce que lapidé par une critique élitiste et cynique, parce que courageux, parce que humble aussi. Parce que féministe et humaniste surtout. Parce que, au prétexte de quelques maladresses de réalisation et d’un récit démonstratif, on assassine un film d'une émotion immense, d’une pédagogie certaine et d'une actualité brûlante.
N’en déplaise à la critique, « Sœurs d’armes » se saisit d’abord d’un sujet rarement mis à l’écran : le massacre des Yézidis par les djihadistes de l’Etat Islamique et en particulier de ces femmes, esclaves sexuelles, victimes de violences psychologiques et physiques inimaginables. Or le film, tout sauf naïf, ne cède jamais à la spectacularisation de la barbarie ni au pathos : Caroline Fourest dénonce l’insoutenable en le rendant supportable à l’écran ; elle reconnait d’ailleurs n’avoir pu montrer l’étendue des atrocités, dans les salles de cinéma occidentales.
Véritable rempart contre l’oubli, ce film est non seulement documenté, poétique mais aussi accessible. Oui, volontairement grand public. Un gros mot qu’il s’agirait de redorer. D’autant plus que « Sœurs d’armes » ne manque pas de nuances ; j’aimerais en dire autant des critiques cinéma. La diversité des personnages campés par des acteurs engagés, comme la complexité (certes effleurée mais pas moins présente) de leurs motivations/interactions évitent selon moi cet écueil.
Quant aux combattantes kurdes, dont la réalisatrice revendique l’héroïsation, ne méritent-elles pas (quelques soient les ressorts de leur engagement) un ardent hommage ? A cet égard, honte à certains propos tenus dans « Le Masque et la plume » : « les femmes kurdes n’ont pas mérité ça ». « Ça », il faut comprendre ce film. Je reste sans voix. Ce que les femmes kurdes n’ont certainement pas mérité, c’est ce mépris, c’est qu’on leur passe sur le corps, qu’on s’attaque à leur chair, c’est de mourir dans un combat d’une violence sans nom.
Dernier point : n’y-a-t-il pas lieu de s’élever contre certains éléments de langage dénonçant le « manichéisme » et « la représentation binaire » que livrerait « Sœurs d’armes » en prenant parti « pour les faibles contre les bourreaux » ? Comment comprendre cette accusation ? Certains journalistes auraient-ils besoin d’un manuel type « Daesh pour les nuls » ?
Je relis les critiques, amère. Je m’interroge : est-ce Caroline Fourest qui irrite ? Est-ce le genre « film de guerre » en France qui fait « psitt » ? Est-ce le portrait de femmes combattantes qui dérange ? American Snipper oui, mais pas au féminin ? Est-ce le sujet tristement d’actualité qui ronge, qui culpabilise ? Qu’est-ce qui est « embarrassant » dans ce film pour citer « Libération », sinon l’acharnement d’une presse visiblement dénuée d’empathie ?
Je n’aurai pas la prétention d’avancer des réponses et je n’ai pas l’habitude de faire de la publicité sur ce mur mais quelle citoyenne serais-je si, pour une fois, je ne m’engageais pas (un peu), en vous encourageant à voir ce film, pour vous faire un avis. Et aussi pour honorer toutes ces femmes et tous ces hommes de l’ombre qui ont perdu la vie pour combattre une idéologie mortifère.