Construit en deux phases dont la première est la plus lente, le film de F.Ozon est une claque pour tous ceux qui, nés dans une famille très catho comme moi, ont perçu le monde dès leur plus jeune âge sous l'égide de la doctrine d'amour universel, prônée par l'église et chantée au coin du feu par la belle jeunesse scoute ! Car même s'ils n'ont pas eu à souffrir d'agressions sexuelles proférées par des prédateurs en culotte courte et foulard, ils ne pourront sans doute pas éviter de frémir à l'idée de ce à quoi ils ont échappé, tant les faits ici dénoncés semblent fréquents...
Certes, avec un recul de quelques heures je trouve la première partie presque molle : elle se construit sur une correspondance par mail, lue en voix off, pendant que devant nous la vie suit son cours ordinaire, sur plus de deux ans. Un peu molle donc comparativement à la deuxième phase du film, il faut reconnaître qu'elle rend parfaitement compte du temps qui passe sur le silence. Elle relie Alexandre, catho pratiquant convaincu, marié, père de famille prospère apparemment épanoui, et sa hiérarchie religieuse de Lyon. Cette correspondance, il l'entame à partir du moment où il découvre qu'un prêtre, qui l'a abusé quand il était scout et encore enfant, continue d'intervenir auprès de jeunes... De proche en proche, l'inertie épiscopale de Mr Barbarin aidant, il se résout à porter plainte en justice, quoique les faits qu'il reproche au prêtre en question soient prescrits. C'est lorsqu'une deuxième victime du même prédateur prend connaissance des faits que tout s'accélère pour la deuxième partie, beaucoup plus accrocheuse. François, moins lié à l'église avec qui il a pris ses distances, porte plainte lui aussi et fonde une asso, sans craindre d'utiliser la puissance des réseaux sociaux ni de convoquer la presse. Il l'appelle "La parole libérée" et il a raison, car elle va drainer les confidences et les plaintes de nombreuses victimes, dont certaines plus récentes comme celle d'Emmanuel, un jeune homme encore très en souffrance. La prescription n'ayant plus cours, la suite est maintenant connue : le procès du "père peinard" Preynat et de son supérieur trop longtemps silencieux se tiendra bientôt. Ils sont présumés innocents et "Grâce à Dieu" a frôlé l'ajournement, mais même si l'hypocrisie est démasquée en justice depuis un moment, selon moi il est heureux que cette même justice ait permis au film de paraître avant le procès. Le pape est d'ailleurs au diapason, qui vient de destituer un haut prélat coupable de sévices sexuels... Tout s'accélère, donc, et c'est bien comme ça !..... Faut-il se féliciter de l'efficacité des nouveaux médias ? En tout cas, autour du trio Poupaud-Ménochet-Arlaud il faut saluer les prestations de toute la distribution, remarquable, et la sobriété du scénario, pas voyeur pour un sou, documenté et pas spécialement racoleur. Grâce à lui on appréhende la souffrance des victimes, construites sur des blessures, d'autant plus condamnées au mal-être qu'elles ont dû si longtemps taire leur malaise, se heurter à l'hypocrisie. On entre en empathie, on rouvre les yeux et si le cinéma sert à ça, il est utile.