Nope s'est le mot qui unit une soeur et son frère, que tout oppose, qu'ils glissent subrepticement au monde qui les menaces. Il y a ce rapport évident entre l'homme noir et sa visibilité, celui qui sur une pellicule de Muybridge devient le premier acteur de l'histoire du cinéma par défaut, puisque ce qui intéresse Muybridge ce n'est pas le jokey mais le mouvement de l'animal. Voilà le point de départ théorique fort stimulant que Jordan Peele va developper et anhiler, intelligemment, avec un soucis de lisibilité parfois pesant. Si l'homme/cavalier disparaît des mémoires derrière le dispositif technique, c'est qu'il doit réapparaître, comme le véritable sujet au coeur du dispositif du cinéaste, et le dispositif qui l'a immortalisé en le "dévitalissant" dans un rapport utilitaire, purement analytique, devient le germe d'un mal purement carnassier. Si l'animal est le sujet d'un rapport détaillé de son mouvement qui vise à rendre prévisible et donc domptables ses comportements, il va lui disrupter, tragiquement. Ainsi Peele va constuire un film de genre questionnant en tout sens le film de Muybridge. Il invente donc un méchant à la fois animal et technique, une symbiose parfaite et euphorisante d'un oeil indomptable qui dévore les humains, particulièrement les blancs, et c'est la réussite immense de ce film méta, purement visuel, déployer un horizon vaste et épique mais cloisonné par le dispositif technique qui vise à pièger l'impiégeable, filmé celui qui vous filme afin de lui survivre. Avant ceci il y aura une première partie qui bien qu'attendue ménage quelques finesses. L'ambiguité du regard, de la mise en scène de cette partie, constamment rivé sur l'animal exploité et l'homme dominé, prend des tours surprenants. Il s'evacue péniblement au début du film dans une scène ridicule de tournage purement instrumentale dirions nous, ou commence à se déjouer des rapports de domination qui ne feront que se déployer à l'identique dans un horizon purement gigantesque, dans une deuxième partie salvatrice. Cette domination de l'animal et de l'homme qui s'y identifie, dans le dispositif technique du spectacle, se rappelle à nous dans une autre scène bien plus signifiante ou le chimpanzé, hors cadre, pète un câble, lors du tournage d'une sitcom. Après sa tuerie, le singe se rapproche alors de l'enfant terrifié. Mais dés le début, le regard de cet enfant sur une chaussure maintenue en permanence et inexplicablement à la vertical, va hisser le propos à un autre niveau. C'est la façon de regarder les choses sur l'instant qui va créer l'impossible, l'imprévu et reporter la condition tragique. Ce postulat très fort et antimécanique, ne vas irriguer le film que incidemment, puisque la mise en scène très Shyamalanesque de Peele va s'orienter vers le film de genre obséder par l'effet de sidération. Il va falloir construire des personnages très archétypaux, et le film ne brille pas ici, c'est le moins qu'on puisse dire, par son originalité. A force de nous les rendre attachants Peele les dilue, transparents, dans un spectacle visuel pour le coup d'une rare beauté, ou leur corps finissent par surnager comme frêle esquif. C'est ici que la leçon d'échelle de Peele est bien plus spectaculaire qu'une autre, celle de Denis Villeneuve sur Premier Contact. On pourrait dire que Peele met en mouvement Premier Contact. Le mouvement c'est l'autre grande obsession du cinéaste doué. Quoi de plus naturelle dans un film de traque surdimensionné ou la taille est l'assymétrie ? Film de chasse en circuit fermé, Peele évide, et adroitement, ferme ses questionnements spécistes dans un survival horror d'une inspiration constante, ce pôle du film est à la fois tenu aux cordeaux (pas de délires baroques ici), et répond à l'interrogation originelle, d'un dispositif technique racialiste, qui vise à appauvrir autant qu'à invisibiliser les acteurs (souvent de couleurs) aux profits des metteurs en scène (souvent blancs), par un retournement de situation sans finesses scénaristiques, ou les uns sont avalé par leur dispositif quand les autres peuvent enfin prendre une place mérité dans la société. Si cette justice a du sens, notamment parcequ'elle est efficace dramatiquement, elle se déploie à rebours des audaces plastiques du film, mesurés et inspirantes, et laisse présager une fin dont l'optimisme fleur bon la démagogie capitaliste.