SPOILER ALERT
Et de 3 ! Après m'avoir un peu eu à l'usure avec Us qui démarrait fort mais s'essoufflait, c'est avec un plaisir largement suscité par l'habile bande annonce de Nope que je retrouve Jordan Peele. Le comique face caméra qu'il formait avec Keegan-Michael Key dans Key & Peele retrouve le niveau captivant de bout en bout de son Get Out mais ici pour d'autres raisons. Là où son premier film déroulait clairement sa trajectoire dans l'horreur à travers un survival psychologique au message politique, Nope nous avale pour d'autres raisons.
On y retrouve avec plaisir un Daniel Kaluya émoussé et flegmatique dans le rôle d'Otis Jr (OJ!), dresseur de chevaux pour Hollywood. Suite à la perte de son père dans des circonstances aussi dramatiques qu'improbables, il tente de maintenir avec l'aide de sa sœur, plus à l'aise et loquace en public Emerald, interprétée par Kiki Palmer, le ranch et l'activité familiale. Mais au-delà de ses difficultés, il découvrira très rapidement qu'une présence menaçante plane au-dessus de leurs têtes.
Si Jordan Peele use des procédés habituels du film d'horreur sur les quelques séquences angoissantes, il le fait très habilement pour nous amener, nous autre spectateurs, à prendre la menace au sérieux avant que celle-ci ne se confirme.
Toute la première partie du film tourne autour de l'acceptation de ce qui est en train d'arriver et la tension s'exprime clairement autour de la frontière entre possible et impossible, normal et paranormal qui vient doucement se fragmenter. Le terme nope/non, est d'ailleurs maintes fois répété par Otis, saupoudrant certaines scènes d'une touche comique car personnellement, je me verrais bien répéter la même chose face à ce type de situation, tentant de me convaincre que non, ce n'est pas en train d'arriver, ça ne va pas arriver, comme si mes mots avaient le pouvoir de stopper les choses que je ne voudrais pas affronter, qui me terrifierais et me dépasserais. Ainsi, entre leurres nocturnes dans les écuries où les lumières semblent s'allumer toutes seules et les sons venus de nul part, Nope nous amène doucement à basculer vers l'impensable : nous ne sommes pas seul dans l'univers.
En parallèle, d'une manière bien plus terre à terre mais tout aussi glaçante, Peele inaugure son film par une séquence sauvage qui ne semble tout d'abord pas avoir de lien avec l'histoire. On y devine un chimpanzé venant de causer un massacre sur un plateau de cinéma. Le rapport viendra plus tard avec le personnage de Ricky 'Jupe' Park sous les traits de Stephen Yeun, lui aussi impeccable en ancien enfant star. Irrémédiablement marqué et intérieurement meurtri par cet événement, il mise malgré tout sur la portée médiatique de celui-ci pour continuer à exister en tant que propriétaire d'un parc d'attractions, parc qui va se retrouver mêlé à cette histoire d'OVNI. Montrer à tous prix, et répéter l'erreur qu'il n'a pas compris, que nous n'avons pas encore compris.
Dans cette partie, le parallèle est assez astucieux puisque derrière le côté purement technique du film, le spectateur essaie d'y déceler les liens qui donneront toute la puissance au message sous-jacent pendant que les héros ordinaires qu'il suit tentent eux de s'assurer de l'élément fantastique qui s'invite dans leur vie.
C'est d'ailleurs quand le doute n'est plus permis que la séquence d'introduction nous revient au visage, cette fois sans équivoque, pour finir d'appuyer le propos autour de l'utilisation des animaux au cinéma et de poser de nouvelles bases pour la deuxième partie, toute aussi captivante que la première mais dans un registre différent.
Tous les effets et les trouvailles visuelles et sonores comme autant d'indicateurs de la proximité de la menace contribuent à l'ambiance globale du film mais on quitte maintenant la tension de l'incompréhensible pour celle de la chasse, de la chasse à l'image, de la chasse au besoin de rationnaliser qui fera de ce nuage immobile depuis des semaines dans le ciel une preuve recevable aux yeux du monde. Ainsi notre équipe se met en tête de capturer cette entité et tout ce qu'avait semé Jordan Peele prend petit à petit son sens. Même si la menace ne change pas de camp, le piège s'inverse et ceux qui fuyaient deviennent les chasseurs, forts de leurs connaissances, principalement celles d'Otis qui part son métier, part sa manière d'appréhender les animaux, limitera les pertes contrairement à notre regretté Ricky. Une opération dangereuse qui prend à rebours la plupart des productions de ce type et sert aussi le deuxième message de Peele sur la place des images dans nos vies, appuyée par un motard éphémère chasseur de scoop.
Vous l'aurez compris, j'ai trouvé Nope captivant pour plusieurs raisons et à plusieurs niveaux. Il est captivant techniquement et visuellement mais aussi grâce à son ambiance, son sujet, son cadre, ses acteurs, son monstre, son propos, ses scènes soignées, son montage et ses petits riens aussi anodins qu'une ballerine figée dans une position impossible ou qu'une pièce tombant du ciel qui viennent s'emboîter parfaitement au fur et à mesure que la bobine se déroule. Nope est un drôle de film qui parle de cinéma, revient sur le cinéma et dénonce le cinéma avec un sens indéniable de la construction narrative et une originalité née de celles empruntées à ces prédécesseurs.