Tant que l’Amérique n’aura pas réglé le problème racial qui la mine, les américains continueront de faire des films traitant de la lutte pour les droits civiques. J’avoue qu’avant d’aller voir « Emmett Till » en salle, je ne connaissais pas son histoire. Mais aux Etats-Unis, et pas seulement dans la communauté noire, tout le monde sait qui il était et ce qui lui est arrivé. La réalisatrice Chinonye Chukwu propose un long métrage de 2h10 qui porte son nom. C’est un film qui n’est pas exempts de petits défauts, quelques scènes un peu trop longues, une musique qui appuie un peu trop les effets, un film qui tire peut-être un peu en longueur sur la fin, qui manque peut-être un tout petit peu de rythme par moment, mais qui ne manque pas non plus d’une certaine créativité dans sa forme. Chinonye Chukwu utilise bien sa caméra, elle sait où la placer pour distiller l’angoisse (des phares qui éclairent subitement les interstices d’une porte en bois), elle utilise le son au lieu de l’image quand il le faut (le meurtre n’est pas montré, il n’est qu’entendu, ce qui n’est pas moins efficace), elle ose le hors champs pendant les scènes de procès en laissant sa camera fixée très longuement sur Mamie Bradley (la mère d’Emmett Till) pendant que l’avocat la bombarde de question malvenues, elle n’hésite pas devant les gros plans, les très gros plans, bref, elle maitrise très bien son film techniquement. Je l’ai dit elle ne montre pas le meurtre d’Emmet, elle le laisse entendre. Pas contre, elle nous montre son corps supplicié. Elle le montre par petits morceaux, jamais en entier, elle le montre non pas par voyeurisme mais parce que la vue de ce corps est une partie fondamentale de l’histoire. Même si elle essaie d’éviter de sombrer dans trop de larmes et de cris de désespoir, il faut reconnaitre qu’elle n’y parvient pas totalement : certaines scènes sont très dures émotionnellement. Mais surtout, ce qu’elle réussi par-dessus tout, je trouve, c’est de rendre palpable la peur qui est le quotidien des noirs des Etats Sudistes en 1955. Cette peur permanente, elle est à couper à couteau dans les postures, les regards, les non-dits, le climat de peur est étouffant, oppressant, presque insupportable. Son film s’appelle « Emmett Till » et c’est bien normal, mais l’héroïne du film c’est Mamie Bradley, sa mère. Et là je dois dire que l’actrice Danielle Deadwyler nous offre une composition époustouflante. Rien que la scène où, devant le corps de son enfant, elle passe du chagrin à la rage, sans une parole, est emblématique. La musique vient inutilement appuyer cet effet, qui est une sorte de basculement du film, Danielle Deadwyler n’avait pas besoin d’artifice. Mue par une sorte de pressentiment, elle hésiter à laisser partir son fils dans le Sud, elle le prévient mille fois mais le gamin n’a que 14 ans, il vient de Chicago où sa mère parvient à le protéger des sous-entendus racistes (la scène du grand magasin), alors il n’écoute pas vraiment. Ni lui, ni elle, ne parviennent à comprendre ce qui se passe dans le Sud, finalement.
Lui (campé par le très bon Jalyn Hall) ne voit pas où est le mal de faire un compliment une femme blanche, elle ne comprend pas qu’un noir ne puisse pas sortir une carabine devant un blanc, ou qu’un procureur refuse de lui serrer la main.
Cette dualité entre les noirs du nord et les noirs du sud, qui ne vivent pas tout à fait dans le même pays, est à la base de tout. De ce que j’ai pu en ire ici où là, Chinonye Chukwu a relaté les évènements sans en rajouter. Je sais que c’est difficile à croire pour nous, ici et maintenant,
mais mentir ouvertement sous serment sans jamais être inquiété, avouer un meurtre à des journalistes, être rémunéré pour cela, sans être jugés, bastonner un gamin de 14 ans jusqu’à le rendre méconnaissable pour un sifflement, tout cela n’est que la réalité historique des faits.
Tant qu’il y aura des gens pour le nier ou le minimiser, il y aura des films et des livres pour le rappeler. Le meurtre en lui-même n’intervient qu’au bout d’une demi-heure de film. Tout le reste consiste pour Mamie à encaisser le choc, trouver en elle la rage et aller dans le Mississippi accuser deux hommes blancs. On a du mal à imaginer quel courage il fallait à cette époque pour un noir de monter du doigt un homme blanc dans un prétoire, il fallait ensuite quitter l’Etat fissa. La petite histoire raconte que le supplice d’Emmett Till à inspiré Harper Lee pour son célèbre roman « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », et qu’une loi porte son nom, une loi qui fait du lynchage un crime fédéral, une loi votée en… 2022.