J'aurais bien aimé commencer Wim Wenders avec un autre film que son chef-d'oeuvre proclamé, histoire de mieux cerner le bonhomme et savoir comment me disposer devant la quintessence de son cinéma. Qu'importe, j'aurais quand même passé devant Paris, Texas un moment d'une indéniable beauté. Profondément existentiel, le film est autant l'adieu de l'allemand au cinéma européen que l'errance d'un homme qui recolle ses souvenirs et les morceaux de son être au gré de retrouvailles avec son frère, son fils puis l'amour de sa vie, quatre ans après. Un film sur la perte et la reconstruction, éléments perpétuels de nos vies posément signifiés par des éléments divers, par l'abandon progressif du mutisme de son personnage principal, par sa relation étonnante avec un fils qui lui apprendra tant, sur lui-même notamment. La vraie force de cette ballade, c'est surtout une douceur qui permet un contact incroyablement intime avec tous ses protagonistes. Wenders refuse toute forme de violence volontaire dans les relations entre ses personnages, pour mieux marquer celle qui les tiraille déjà de l'intérieur, ce déchirement incurable, comblé de nostalgie ou enterré sous le poids de l'amnésie. D'ailleurs, sans climax dramatiquement surfait, Wenders conclut avec tact
par le renoncement du mari à une relation amoureuse dont il a enfin réussi à faire le deuil,
par le geste frustrant mais nécessaire de celui qui a enfin appris à ne plus se battre contre ce qu'il savait ne pas pouvoir vaincre. Du désert de l'ouverture à la nuit urbaine de sa conclusion, le voyage est celui d'une sagesse incertaine, d'un pas en dehors du néant, pas mal assuré mais premier geste vers une résurrection. Parfois, pour ne pas se laisser mourir, il faut sans doute un peu renoncer à vivre. Sublime dans le fond, Paris, Texas l'est aussi dans la forme, sa photographie expressionniste imageant à merveille la vivacité des sentiments et comblant le film d'une sensibilité à fleur de peau. Beau, modeste et plein d'amour, mon premier contact avec Wim Wenders témoigne d'une belle justesse, celle des films qui ne travestissent pas la vie mais la poétisent, exploitant au mieux les facettes d'un art qu'ils enrichissent au lieu de venir le piller. Un bon moment, sans le moindre doute.