« Le vent souffle où il veut : tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi pour qui est né du souffle de l’Esprit ». Cette citation de l’Evangile selon saint Jean (3,8) convient si parfaitement à ce film que le réalisateur, le franco-suisse Germinal Roaux, a cru bon de l’y insérer à deux reprises.
En effet, le vent qui souffle sur le monastère des Alpes suisses qui sert de cadre à cette œuvre de toute beauté provoque de l’inattendu. La petite communauté de cinq moines, si retirée dans un endroit si paisible, a fait des choix audacieux qui l’ébranlent et l’obligent à des remises en cause. Ces moines, guidée par leur père abbé (admirablement interprété par Bruno Ganz), ne se sont pas dérobés face aux exigences de l’Evangile. « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » : la phrase prononcée par Jésus en l’Evangile selon saint Matthieu (25,35), ils ont eu l’audace de l’appliquer à la lettre, sans se chercher de faux prétextes pour ne rien faire. Et ils hébergent donc, dans leur grand bâtiment conventuel, un groupe de réfugiés.
Fortuna (Kidist Siyum Beza), une jeune Ethiopienne de 14 ans toujours hantée par le traumatisme endurée lors de sa périlleuse traversée de la Méditerranée, fait partie de ce groupe. Elle est chrétienne, elle est encore une enfant naïve qui parle aux animaux, mais elle est aussi et surtout une adolescente qui aime se retirer dans une chapelle creusée dans la roche pour y prier Marie. C’est à la Vierge qu’elle préfère se confier, tout en se demandant ce qui lui arrive. Car, au monastère, elle a rencontré un homme, un musulman du nom de Kabir, et la voilà enceinte. De ce fait, elle ne veut pas entendre parler d’un foyer d’accueil, au point de s’enfuir lorsqu’il est question de l’y conduire. Candide comme elle l’est, elle espère que, malgré son jeune âge, elle pourra se marier avec Kabir.
Tout ne se passe pas aussi simplement, on le devine, et le paisible monastère devient le théâtre d’évènements qui le perturbent grandement : non seulement du fait de Fortuna et de sa grossesse, mais aussi parce que les autorités du pays ont jugé qu’il fallait intervenir en ce refuge pour vérifier les identités des migrants et en emmener manu militari dans d’autres centres d’accueil. De ce fait, Fortuna se trouve séparée de Kabir, ce dernier étant l’un de ceux qui sont emmenés par les policiers.
Toutes ces péripéties ont de quoi déstabiliser la petite communauté des moines. A deux reprises, l’une aussitôt après la venue des policiers, l’autre lorsque se pose de manière cruciale le cas de Fortuna, le père abbé réunit la communauté afin de débattre et de décider de ce qu’il convient de faire. Dans ces moments, il faut le dire, c’est la parole de l’abbé, celui qui, à la fois, se montre le plus audacieux et fait preuve de la plus grande sagesse, c’est sa parole qui prévaut. Il trouve les mots pour apaiser les craintes des frères dont la vocation même est dérangée, eux qui se sont retirés dans un monastère pour y être à l’abri des bruits du monde. Mais cela suffit-il à se soustraire aux exigences de l’Evangile ? Quant à Fortuna, à qui un des frères, affolé, a conseillé d’avorter, ne doit-elle pas elle-même, malgré son jeune âge, prendre son destin en mains ? Pour le père abbé, en tout cas, c’est sûr, chaque fois que des membres de l’Eglise ont voulu imposer leur volonté aux autres au nom de leur foi, ils se sont gravement fourvoyés. Que de mal on a pu commettre, dans l’Eglise, en contraignant autrui à faire ce qu’on estimait être bon pour lui !
Photographe autant que cinéaste, Germinal Roaux a eu le bon goût de tourner ce film en noir et blanc. Un choix qui rend cette oeuvre encore plus belle et plus fascinante. Un film à ne pas manquer !