N'ayons pas peur des mots, avec son premier long-métrage "Blue Jay" déjà écrit et interprété par Mark Duplass, Alex Lehmann a signé un petit chef-d'oeuvre romantique hélas passé inaperçu à cause d'une sortie dans l'anonymat le plus total sur Netflix (si vous ne l'avez pas vu, courez le dénicher dans le catalogue de la plateforme de streaming !). Forcément, après un tel fait d'armes, "Paddleton" avait de quoi susciter les plus vives attentes, sans doute beaucoup trop, car si ce deuxième film n'en demeure pas moins un drame poignant sur une amitié amenée à disparaître à cause de la maladie, il n'atteint peut-être pas les mêmes sommets sur un plan strictement émotionnel que son aîné.
Depuis des années, la bromance vécue par Andy et Michael est devenue leur refuge afin d'échapper à la banalité de leurs existences de gentils loosers. Aussitôt sortis de la morosité de leurs jobs sans avenir, ces deux voisins se retrouvent pour célébrer leur entente parfaite durant des soirées jeux de société/films de kung-fu ou une partie de Paddleton, une sport crée par eux-mêmes et ressemblant à une sorte de squash en extérieur où la balle doit atterrir dans un baril derrière les joueurs.
Un jour, l'annonce du cancer incurable de Michael dérègle leur quotidien si bien installé qu'ils pensaient voir perdurer encore très longtemps. Si Michael se résigne à son sort en demandant à son meilleur ami de l'aider à préparer sa prochaine euthanasie, Andy, lui, a beaucoup plus de mal à envisager un futur sans celui qui partage désormais sa vie...
Et c'est d'ailleurs là que va s'articuler tout le sujet de "Paddleton", sur cette fin d'amitié entre deux hommes causée par la disparition inéluctable de l'un laissant l'autre désemparé face au vide de son existence.
Lors d'une dispute au cours d'une virée pour chercher les médicaments palliatifs de Michael, ce dernier criera "Je suis celui qui va mourir !" à Andy qui lui rétorquera "Et moi, je suis l'autre type !", cette merveille de dialogue, patte de l'immense talent de Duplass, résumera à elle seule le mal-être d'Andy, incapable de se résoudre à envisager une porte de sortie dans un univers où son ami aurait disparu.
Comme on l'apprendra au cours du film, Michael a plus ou moins consciemment choisi cette vie insignifiante à laquelle s'est annexée ensuite Andy. L'amitié qui s'est nouée entre les deux les a abrité de la normalité et des aléas du monde extérieur pendant un certain temps mais, face à la maladie, ils n'ont plus aucun échappatoire et Andy ne le sait que trop bien, terrifié à l'idée de cet "après" inconnu. La débat entre les deux hommes sur un hoverboard permettant à un homme de faire du surplace n'est évidemment pas là par hasard, tout comme ce discours sportif qu'Andy répète inlassablement pour s'encourager à envisager (puis à accepter concrètement) qu'il y ait une seconde mi-temps au statu quo de sa vie, le discours métaphorico-existentiel est une donne permanente de l'intelligence qui habite ce "Paddleton".
Ainsi, l'écriture de Duplass et de Alex Lehmann pour nous narrer cette fin de voyage synonyme du début d'un autre est -comme d'habitude- brillante. Ce ton tragi-comique approché avec réalisme et l'interprétation de haute volée du duo Ray Romano/Mark Duplass font bien entendu des merveilles jusqu'au terme du film où les rôles de chacun seront inévitablement amenés à s'inverser pour qu'enfin Michael arrive à sortir de son stoïcisme face à la mort et qu'Andy puisse avancer mais c'est peut-être là aussi où réside la principale limite de la portée de ce "Paddleton".
Quelque part, le film ne sort finalement pas de la zone de confort des productions des frères Duplass et plus généralement du cinéma indépendant US, le talent est bien là à tous les niveaux et "Paddleton" est autant attachant par les sourires que par l'émotion qu'il véhicule, surtout dans sa dernière partie, mais il manque ce petit quelque chose de bien plus qu'ambitieux (qui irradiait de "Blue Jay" par exemple) pour vraiment atteindre de plus hautes sphères et marquer durablement les mémoires.
En fait, le reproche majeur que l'on pourrait faire à "Paddleton" est qu'il suit un cheminement passionnant grâce à toutes les qualités que l'on a déjà citées mais un cheminement un brin attendu si l'on est familier des codes rattachés au genre indé dans lequel il s'inscrit. Pas de quoi non plus crier à la formule ou la recette préétablie pour autant car "Paddleton" à suffisamment plus de coeur et de cerveau à revendre que bon nombre de ses confrères mais il n'empêche que, parfois, le film donne l'impression de minimiser ses prises de risques en ne sortant pas des sentiers battus utilisés par le cinéma indé américain.
Au final, il en résulte un film éminemment attachant et de haut niveau sur de nombreux points mais qui donne l'impression de trop rester en terrain connu si vous êtes un minimum amateurs du registre cinématographique qu'aiment tant explorer Mark Duplass & co. Ce n'est sûrement pas une raison suffisante pour passer à côté de cette brillante ode à l'amitié mais elle est assez importante pour que l'on en espère bien plus à l'avenir, surtout à la vue du génie qui animait "Blue Jay" (on vous a dit qu'on l'avait adoré, non ?).