Construisant une passerelle entre la tradition du film de village qui a fleuri dans le cinéma français du premier XXe siècle – pensons, exemple tardif, à L’Assassinat du Père Noël de Christian-Jaque – et un goût de nos sociétés contemporaines pour les récits de disparition et d’enlèvement, dans un contexte d’état d’urgence et de paranoïa collective, Trois Jours et une vie pense l’accident comme une vaste caisse de résonances dans laquelle se débattent les secrets et les non-dits qui unissent Antoine Courtin (enfant et jeune adulte) à son ami devenu spectre, qui maintiennent béante la blessure que seule la vérité – celle qui n’éclate que par fragments individuels – pourrait guérir, qui posent la question de la culpabilité et de sa nécessaire médiation par la parole. Car la malédiction qui frappe Antoine en l’espace de quelques secondes – agonie du chien puis exécution, désillusion amoureuse, départ de son ami – se transforme avec le temps en poids fossilisé qui écrase la conscience tout en sclérosant, parce qu’à ce point intégrée à l’existence du jeune homme, toute possibilité de sursaut et de révélation, donc de Salut ; la preuve en est que le retour dans son village du médecin décidé à traverser la mer Méditerranée pour s’installer ailleurs occasionne une prolongation tragique du mal commis jadis, un nouveau départ de flammes qui consume une fois encore le cœur des habitants. Le traumatisme s’amplifie, il s’étend de la conscience d’un enfant pour façonner l’identité du territoire tout entier. La position des arbres symbolise cette aggravation de la situation, le glissement de l’accident à l’homicide involontaire : les troncs scandent d’abord le paysage boisé, et les personnages qui s’y activent à la recherche du petit disparu en ressortent isolés, délimités par deux arbres, comme enfermés dans une cellule. Avec le temps vient la tempête, et les arbres se couchent, ils écrasent le paysage par leur horizontalité massive qui dessine un paysage par strates, par couches successives qu’il va falloir creuser pour espérer retrouver l’enfant mort. Cet élément a priori anodin traduit en réalité le passage d’un mal passager à un mal durable, profondément enfoui dans la terre. Et cette mort de la nature équivaut à celle de l’innocence : l’enfant fait l’épreuve du crime originel, celui de son ami et le sien – la tentation du suicide –, il prend conscience de la notion de culpabilité, soit de la portée de son action sur le monde avec lequel il interagit. Antoine est condamné à fuir vers cet Orient arabe source de renaissance, qu’il ne verra finalement que dans le creux de son assiette, un soir de fête. Sa maison a été engloutie, véritable séquence de chaos biblique. Il est trop tard. L’ordre du monde est définitivement bouleversé, il plonge ses racines dans le mal et la soif de revanche. Trois Jours et une vie dépasse donc la simple reconstitution de fait divers pour mieux la transcender, en faire la base d’un récit de passion contemporaine terriblement juste et cruel. On en ressort avec la certitude d’avoir vu là quelque chose de grand, de puissant et de tragique. Ce qui prouve le talent immense de Nicolas Boukhrief, cinéaste français qui mériterait davantage de reconnaissance.