Après « Au revoir là-haut », c’est la deuxième fois (mais pas la dernière je parie) que Pierre Lemaitre est adapté à l’écran. C’est Nicolas Boukhrief qui s’y colle avec « Trois jours et une vie » et ce n‘était assurément pas le livre le plus facile à adapter. D’abord parce qu’il s’étale sur 15 années et puis surtout qu’il laisse une part bien plus importante à la psychologie qu’à l’action. Boukhrief réussit à installer une ambiance lourde et pesante comme il faut en campant son action dans les Ardennes belges, une région austère, en crise et dans une Belgique encore traumatisée par l’affaire Dutroux. C’est une des rares concessions qu’il fera au roman, et c’est une bonne idée car dans ce petit village sinistré, il ne fait jamais beau, les gens ne sourient jamais ou si peu, la météo façonne les personnalités. Elle est aussi, on le verra, le facteur X de l’intrigue. Une photographie volontairement terne, une impression d’humidité permanente, une musique intéressante et parfaitement bien utilisée, Boukhrief connait le job. Il sait distiller les petites touches de malaise avec juste un camion de bois qui passe, une enseigne de police qui brille dans la nuit, une lampe torche qui navigue dans les bois embrumés, le bruit sourd d’un corps d’enfant qui tombe dans un trou. Rien n’est spectaculaire dans ce film, mais quasiment tout fonctionne grâce à cette atmosphère. Quand on connait le roman, on attend un peu de voir comment le réalisateur va mettre en scène la tempête de 1999. Car c’est elle, le facteur X de cette histoire, le point de bascule. C’était la bonne idée du roman, c’est la bonne idée du film mais il fallait la filmer sans trop en faire (on n’est pas dans un film catastrophe d’Hollywood !) mais sans l’éluder non plus. La scène ne dure que 3 à 4 minutes et elle est terrifiante. Après, Boukhrief choisit un peu la facilité en utilisant des vraies images d’archives, on lui pardonne, c’est de bonne guerre. Dans sa forme, donc, le film de Nicolas Boukhrief teint bien la route. Il dure 2 heures, ce qui est dans la fourchette haute des films français mais ça passe bien. Il laisse le temps à l’intrigue de s’installer par un long flash back qui prend bien le temps d’expliquer le geste d’Antoine, le geste presque anodin d’un gamin de 12 ans triste et en colère, une geste de rien du tout qui va ruiner sa vie. Charles Berling, Sandrine Bonnaire, Philippe Torreton et Pablo Pauly se partagent l’affiche. Berling est très bien dans le rôle du père frappé par la tragédie, le rôle difficile d’un homme peu sympathique mais dont on ne peut jamais douter du chagrin, un homme sur la mauvaise pente déjà bien avant le drame mais que la disparition de son fils Rémi va faire basculer définitivement. Sandrine Bonnaire, elle aussi parfaitement dans le ton de cette mère aimante
mais un peu maladroite, qui a très peur de la vérité et du « qu’en dira-t-on ».
Le rôle de Philippe Torreton est plus secondaire mais il est génial, il est toujours génial. Et Pablo Pauly confirme la bonne impression qu’on avait eue de lui avec « Patients ». J’accorde deux petites mentions, la première à Jeremy Senez, Antoine a 12 ans, qui fait mouche dans un rôle très difficile, et à Pierre Lemaitre qui se fait un petit plaisir, un tout petit rôle (mais crucial pour l’intrigue) de Procureur du Roi et qui le tient très bien. Le film est étonnamment fidèle au roman et il réussit un pari délicat de bien montrer à l’écran le piège imparable qui se referme sur Antoine, très lentement mais inexorablement. Tout est une question de choix,
Antoine n’en fera que des mauvais. Il choisit de dissimuler le corps, il choisit de ne pas parler alors qu’il est encore temps de le faire, même quand des gens sont suspectés et qu’il les sait innocents, il se tait quand le Docteur lui tend la perche, le 25 décembre au soir. Mais il choisit de ne rien dire, par peur évidemment, et la Tempête vient tout bousculer. Il la croit salvatrice, elle va sceller son destin dans la durée. C’est elle qui fait basculer sa vie presque davantage que ce bâton lancé sous un coup de colère, c’est elle qui lui donne la fausse impression que son crime demeurera secret. 25 ans après, il ne lui faudra pas grand-chose pour que la culpabilité revienne le hanter, au fond elle ne l’a probablement jamais quitté, il l’avait enfouie dans son inconscient. Elle remonte à la surface elle aussi, et le cauchemar reprend. Dés lors il est trop tard pour avouer, et là encore il fera les mauvais choix, ceux de la facilité, des faux fuyants, de la lâcheté.
Si l’on peut comprendre Antoine à 12 ans, son attitude étant adulte est plus contestable et elle suscite moins d’empathie. Si on connait le roman on connait les petits rebondissements de la fin. Mais qu’on les ai vu venir ou pas, l’impression finale est forte. Antoine n’aura pas juste foutu sa vie en l’air,
il aura entrainé d’autres personnes dans ce silence et surement gâché leur vie aussi :
un poids de plus sur les épaules de ce jeune homme piégé. « Trois jours et une vie » est l’adaptation réussie d’un roman très réussi, on peut aller le voir sans appréhension si on aimé le roman. Si on ne l’a pas (encore) lu, alors on prend un autre plaisir, celui de découvrir une histoire toute simple mais très efficace, qui met en scène des gens simples, des sentiments ordinaires qui résonnent fortement en chacun de nous : ce qui est arrivé à Antoine aurait pu tous nous arriver. A la place des protagonistes de cette tragédie ordinaire, aurions fait d’autres choix ? Pas si sur…