Un film qu’on découvre un peu comme on déroulerait une pelote de laine. D’emblée, le réalisateur plante le décor en nous présentant une dizaine de personnages de nationalités différentes réunis à Sintra. On ignore tout de ce qui les lie les uns aux autres, de la raison qui les a fait se réunir, de leur vie, de leurs motivations. Ira Sachs prend un malin plaisir à nous dévoiler ses cartes petit à petit. Si on comprend dès le départ que chacun des personnages a un lien (actuel mari, ex-mari, fils, collègue de travail…) avec Françoise Crémont, alias Frankie, il faut attendre le premier tiers du film pour apprendre que celle-ci est une actrice de renommée mondiale et la moitié du film pour savoir qu’elle est atteinte d’une maladie incurable et qu’elle a choisi de réunir ses proches pour son dernier été dans ce qu’elle considère être l’un des plus beaux endroits au monde.
Si la mise en scène, les décors et le montage restent très sobres, ce sont les dialogues qui donnent toute sa force au film et lui confèrent un aspect théâtral. Tout au long du film, Ira Sachs fait se croiser, dans différents endroits de Sintra et en l’espace d’une seule journée, le plus souvent lors de scènes limitées à deux personnages, la dizaine de personnages principaux. Leurs dialogues permettent au spectateur d’établir un lien entre chacun d’entre eux et de connaitre leurs motivations en tant qu’individu. Le film décline avec beaucoup de tact la thématique de l’amour en mettant en parallèle l’amour intense et inébranlable (entre Frankie et Jimmy), l’amour introuvable (entre Ilene et Gary, entre Sylvia et Paul, entre Paul et ses ex-compagnes), l’amour déchu (entre Sylvia et Ian), le premier amour (entre Maya et un jeune surfeur rencontré dans le pittoresque tramway local)… Autre thématique auquel le film fait une large place, celle de la famille, abordée à travers les questions du rapprochement et de l’éloignement, de la maladie, de la mort, de la difficulté de transmettre tant son patrimoine que ses valeurs ou des rapports au sein du couple. Malgré la gravité du sujet, le film évite de tomber dans le pathos et la mélancolie. Il n’est pas non plus empreint de la fameuse saudade portugaise qui n’y aurait pas trouvé sa place, Ira Sachs ayant choisi de ne pas explorer ses personnages avec suffisamment de profondeur pour évoquer leur grandeur passée.
Le film recrée, en revanche, parfaitement l’atmosphère de Sintra, ce Versailles portugais très prisé de l’aristocratie et des artistes, notamment britanniques, grâce à de jolis plans sur ses ruelles étroites, sur le Palacio da Pena sorti de la brume, sur le « glorieux Eden » de la Serra da Sintra ou sur le bord de mer avoisinant. Ce n’est d’ailleurs par un hasard si le film se termine au sanctuaire de Peninha par un dernier plan très lent réunissant tous les personnages principaux et qui constitue, à ce titre, une synthèse habile de l’ensemble. On ne peut s’empêcher de se remémorer ce vers des Lusiades de Camoes, ce grand poète portugais de l’époque des Découvertes, en voyant ce dernier plan : « aqui onde a terra se acaba e o mar comeca » (« ici ou la terre se termine et la mer commence »), vers qui est d’ailleurs reproduit sur une stèle au Cabo da Roca (extrémité occidentale du continent européen) à quelques encablures de là. Pour le personnage de Frankie, ce vers sonne presque comme un adieu à ses proches : l’immensité de la mer comme point de départ de son voyage vers l’au-delà.