Et bien voilà ! Voilà enfin une Palme d’or convaincante ! Depuis quelques années, les Palmes d’or lourdingues et empesés s’accumulaient. On dénonçait et critiquait violemment ou on tombait dans le mélo tire-larme insupportable. Sacrer Kore-Eda, ce n’était pas une réaction à la visée sociale qu’affectionne Cannes, c’était une manière de singer le ton souvent grisâtre et glaçant des précédentes Palmes d’or. Car ‘’Une affaire de famille’’, s’il n’est pas dénué de défauts surprend par le décalage entre une histoire qui, sur le papier est plutôt noir et le ton du film, qui lui est léger, voire comique.
L’histoire est celle des Shibata, une famille ‘’fabriquée’’(certains membres qui vit très précairement dans une toute petite maison, quasiment constituée d’une seule pièce. Ils vivent de petits boulots et de vols à l’étalage. Un soir, ils recueillent Juri, une petite fille battue par ses parents. Les Shibata vont alors l’héberger et la considérer comme membre à part entière de leur famille.
Difficile de ne pas tomber sous le charme des films de Hirokazu Kore-eda. Ses films, même si ils peuvent traiter de sujet sombre (comme ‘’Nobody Knows’’ en 2004) font souvent preuve d’une harmonieuse cérémonie. Et une ‘’Affaire de famille’’ est du pur Kore-eda. Une nouvelle fois, la famille est au coeur de son œuvre. Et plus précisément, le Japonais aime scruter les évolutions et interactions que peuvent connaître une famille. Car, on peut le voir dans le reste de sa filmographie, Kore-eda ne croit pas en une famille composé d’un bloc. C’est une constance chez lui : une famille verra toujours sa forme changer, s’enrichir ou s’appauvrir. ‘’Notre petite soeur’’, l’un de ses précédents films ne disait d’ailleurs rien d’autre : trois sœurs se découvraient à la mort de leur père une petite sœur, et décidaient de l’accueillir dans leur maison. Mais à cela, que peut bien apporter ‘’Une affaire de famille’’? Et bien, c’est en observant cette famille en parfaite symbiose et pourtant complètement fabriqué que Kore-eda fait exploser les carcans de la famille avec un grand F. Car Kore-eda ne croit pas non plus à quelque chose de sacré au Japon (et même ailleurs) : les liens de sang qui figent définitivement le cadre de la famille. Au contraire, les cocons les plus traditionalistes sont souvent les plus prompts à dysfonctionner (voir les tensions sous-jacentes de ‘’Still Walking’’). Une fois de plus, c’est la délicatesse dont fait preuve le réalisateur qui permet au spectateur de se rapprocher des personnages. Personnages qui sont formidablement attachants. Le metteur en scène a ça pour lui : sa colère est évidente au regard de certaines scènes amères mais il ne la laisse jamais prendre le pas sur sa douceur de regard. Tout a quelque chose d’assez désarmant surtout la grande beauté des deux jeunes acteurs que Kore-eda exploite parfaitement (à l’heure actuel, il n’est pas excessif de dire que Hirokazu Kore-eda est l’un des meilleurs directeurs d’acteurs enfants ou adolescents). Même dans les séquences de peep-show qui normalement devraient être glauques, Kore-eda parvient à insuffler de la douceur. Parce que (cela peut sembler naïf à dire) Kore-eda avant d’émettre une quelconque critique aime tendrement et simplement ses loosers magnifiques. Un peu comme Chaplin qui aimait Charlot et l’enfant dans ‘’The Kid’’ (1921). et c’est l’une des grandes qualités du Japonais. Mine de rien, Kore-eda a le mérite de ne pas personnaliser les responsables de toute cette misère. Le problème est dorénavant si tentaculaire qu’il est inutile aujourd’hui de viser quelqu’un ou une institution en particulier. Et c’est toute la différence entre une palme d’or juste comme ‘’Une affaire de famille’’ et une palme d’or un peu bêta comme ‘’Moi Daniel Blake’’ (Ken Loach, palme d’or 2016). Là où Ken Loach déployait un schéma manichéen malaisant (pour ce genre de film à portée social) entre de gentils pauvres et un méchant système capitaliste, Kore-eda, lui, adopte un parti-pris moins didactique et surtout moins démonstratif. Au contraire, vu que Kore-eda se focalise uniquement sur cette famille, il prend soin de croquer de manière nuancée ses personnages. Cette famille est-elle aussi angélique qu’elle en a l’air ? Le doute va apparaître dans l’esprit du préadolescent Shota. Et c’est dans une deuxième partie qu’on peut éventuellement deviner la colère de Kore-eda. Le film dans sa structure est en effet très classique. On commence avec une partie enchanteresse pour déboucher sur un second acte plus sombre. Plus sombre, certes, mais jamais pesant. Même si l’amertume du réalisateur est là.
Quand on lui dit que Juri n’aurait pas du quitter ses parents au prétexte qu’une enfant a toujours besoin de sa mère, Nobuyo Shibata répond : ‘’ça, c’est ce que les mères aiment croire’’. Face à cette phrase, face aux révélations finales et face à la conclusion pleine de tristesse, le spectateur est ainsi invité à sortir du beau rêve dans lequel il se trouvait. Comme si, leur harmonie, les personnages devaient la payer.
Le ton du film, s’il est donc tourné vers la légèreté, n’échappe pas à une certaine amertume.
Amertume de voir tout ce qu’ont construit les Shibata se détruire, au prétexte de quelques liens de sang qu’ils n’auraient pas en commun.
Mais Kore-eda, malgré la colère qu’il semble reconnaître évite de trop dévoiler son acidité. De peur de tomber dans la caricature, le réalisateur ne met jamais en avant sa source de colère et se concentre sur ses héros : des marginaux, qui pour endurer toute cette pauvreté se sont rassemblés et créent cette petite famille. Son film dépasse le cadre du simple film social et revêt presque des aspects de fable (et d’ailleurs n’est-ce pas un motif de conte que cette petite fille qui échappe à son monde trop rude pour se trouver une deuxième famille avec ces marginaux ?). Une palme d’or qui parvient enfin à s’échapper de la lourde pesanteur qui habite si souvent les dernières palmes.