Pour moi, occidental européen, le cinéma asiatique souffre souvent d'une imperméabilité qui le rend difficilement lisible de par sa culture très éloignée de la nôtre. Une affaire de famille n'échappe pas à cette difficulté de pénétration, tant la gestuelle des acteurs, leur occupation de l'espace, leur habitus peuvent gêner, voire occulter notre immersion dans l'environnement culturel et social qui est le leur. Bien sûr, le film met en scène des topiques aussi universelles que la Fraternité (même usurpée), l'Humanisme (même biaisé), l'Amour (pseudo-filial ou non) et figure des sentiments et des rapports humains aisément reconnaissables, même par chez nous. Néanmoins, il demeure une part insaisissable propre à l'Empire des signes si cher à Barthes qui empêche ma sensibilité d'adhérer profondément à un cinéma dont l'exotisme a cette couleur d'une étrangeté impalpable et définitivement impénétrable. Ce préambule pour dire que le film n'a pas totalement emporté mon assentiment, au-delà de la sympathie qu'il peut et veut susciter pour ses personnages en rupture de ban.
Mon entrée dans l'histoire s'est faite progressivement, parfois ennuyé par le pointillisme documentaire de ces exclus affreux, sales et méchants (ah les slurp des repas de nouilles ! ), parfois décontenancé par des inter-relations peu explicites dans cette famille faite de bric et de broc. Puis, passée la première heure, le film s'anime et lève le voile sur les motivations avouées ou cachées des protagonistes. Seule la petite fille "adoptée", quasi mutique, traverse le film dans un "hors là" qui prend à rebrousse poil l'amour un peu forcené dont l'entoure Nobuyo, mère d'emprunt à soigner son désir d'enfant. Elle hérite de cette affection comme un bénéfice de surcroît pour au final renouer avec une passivité mortifère.
Mais ce que le film construit dans ses 80 premières minutes, à vouloir démontrer que l'amour peut transcender la misère, que la solidarité inter-générationnelle peut insuffler de l'énergie à vivre (ou survivre), à semer les graines d'un humanisme en forgeant un mouvement d'identification aux personnages, il le déconstruit dans la dernière demi-heure en déjouant les bons sentiments par la mise en lumière de leur face cachée. Un couple amoureux, oui mais criminel. Une grand-mère recueillante, oui mais vénale. Une femme maternante, oui mais dont l'amour plonge ses racines dans le narcissisme d'une stérilité désespérée. Des "parents" adoptants, puis abandonnants. Toute cette belle humanité construite touche après touche s'écroule subitement pour s'interroger sur sa véracité et/ou sa facticité. Un malaise naît de ce déséquilibre et donne le sentiment que Kore-Eda a voulu rayer son tableau d'un trait de griffe qui en fait disparaître toute la grâce patiemment édifiée.
Film bancal donc, pas inintéressant, mais sans atteindre les sommets dont la gratifie une critique dythirambique.