« War is… bloody and soulless. »
Sobrement intitulé Le Roi, le film réalisé de manière très académique par David Michôd et coécrit par Joel Edgerton, qui souhaitait s’offrir un rôle sur mesure à travers le personnage de Falstaff qu’il incarne, se laisse regarder, au sens le plus positif de l’expression. Puisant quelques bribes dans le Henry IV de Shakespeare (la lutte contre Percy, la débauche du jeune Harry/Hal, la fin du vieux roi) et un peu plus dans son Henry V, comme le fit Kenneth Branagh en 1989, l’oeuvre n’emprunte rien à son prédécesseur, ni sur le plan visuel, orientée ici vers la fresque médiévale avec des décors assez bluffants, ni sur le plan de l’interprétation et des dialogues, résolument modernes, très éloignés des élans théâtraux et shakespeariens, ni enfin sur le plan narratif. En effet, Michôd et Edgerton, outre le développement imaginaire du « goog man » John Falstaff, ont choisit de laisser le tout jeune roi Henry V devenir le boucher d’Azincourt à son propre rythme, lent, indolent, terne même parfois, somptueusement campé par un Thimothée Chalamet imprégné de toute la lourdeur de sa charge.
Et c’est sans doute là que le bât blesse, les deux auteurs n’imprimant jamais de direction claire à leur histoire, se contentent de suivre leurs deux héros dans une aventure qui les dépasse, sans jamais entrer dans leur intimité psychologique, sans jamais prendre part à leurs tourments.
Si des voix se sont élevées, principalement en France pour dénoncer une vision francophobe de l’histoire, il conviendra de ne pas sombrer dans le ridicule : l’histoire n’est ici qu’un prétexte, bien plus encore qu’elle ne le fut pour Shakespeare et ses ensembles de pièces patriotiques. Le Roi n’est pas un film historique, ni une adaptation du drame originel, mais une vision personnelle d’un mythe revisité et réapproprié, une quête initiatique certes, un long dialogue souvent mutique aussi entre un jeune roi déboussolé par des conseillers aux avis et aux intérêts divergents et son vieil ami philosophe. On pourrait presque parler de conte philosophique, d’ailleurs, si le propos était un peu plus relevé et la narration moins sombre, un peu plus directive.
Il en résulte un film beau (la photographie en ombres et flammes d’Adam Arkapaw et la musique de Nicholas Britell), non dénué de souffle épique, intéressant dans sa conception et la mise en place progressive des personnages, mais froid dans son approche quasi objective que ne souligne aucun artifice de caméra, aucun effet de style. On ne s’ennuie pas mais on ne s’attache pas non plus et le cerveau du spectateur, de la spectatrice, n’est pas énormément sollicité. Bref, Le Roi se laisse regarder.