Que le cinéma italien relate la plongée de jeunes sans histoires dans l’engrenage du système mafieux n’est pas très surprenant : Depuis ‘Gomorra’, c’est même devenu un des motifs récurrents du cinéma transalpin. Il n’y que la manière de raconter cette dérive et de la penser, de s’attarder sur la brutalité des actes ou plutôt sur une désespérance sociale qui jouerait les pousse-au-crime, pour faire la balance du côté du polar noir ou du côté du drame social : Ici, ce sont deux jeunes qui, pour reprendre une formule consacrée, ont décidé de ne rien faire en attendant qu’il se passe quelque chose, qui renversent un homme en voiture. Tout d’abords inquiet des conséquences de cet homicide involontaire, ils découvrent que la victime était une balance, traquée par toutes les Familles du coin : sous la pression du père, ce coup du sort se mue en ticket d’entrée au sein du crime organisé. Alors que les missions crapuleuses s’accumulent et que l’argent facile commence à couler à flots, l’estompement de la norme s’accentue, tandis que les rêves de grandeur et de réussite des deux ados paumés vont se heurter à l’utilité toute relative qu’ils présentent pour la mafia. Si le titre français reflète bien l’amitié indéfectible qui lie Manolo et Mirko, le titre italien est plus révélateur : “La terre du raz-le-bol”, ce monde clos, de quartiers sinistrés et de barres d’immeubles oubliées de dieu et des pouvoirs publics, dont tout espoir a disparu et où l’implication plus ou moins importante dans le système souterrain et criminel constitue souvent l’unique moyen de garder la tête hors de l’eau. Il arrive que certains films d’auteur se préoccupent d’eux mêmes avant leur sujet, mais ce n’est pas le cas de ce ‘Frères de sang’, qui assène ses constats avec une logique implacable, dans le respect de cette tragédie antique qui exige que les personnages soient voués à la damnation par le Fatum, plus que par la succession de leurs mauvais choix. Alors qu’il s’agit d’un premier film, les frères D’Innocenzo sont déjà en train de tailler des croupières à la référence qu’est devenu Matteo Garrone, même si leur film n’a pas bénéficié de la même enviable couverture médiatique.