A tous ceux qui aiment un cinéma classique et mesuré, qui ont le goût des intrigues bien ficelées et sans grande surprise, ce film n'est absolument pas recommandé. "The Lighthouse", signé Robert Eggers, le réalisateur de "The Witch", est un film atypique, provocateur, où le mauvais goût est parfois érigé en valeur artistique, même s'il est indéniablement paré de poésie. Voici donc l'histoire de deux hommes, tous deux gardiens de phare sur une île déserte, l'un âgé et s'érigeant en maître tyrannique, l'autre jeune et acceptant d'abord une rude soumission avant de chercher à intervertir les rôles et à accaparer pour ce faire les clés de la lanterne du phare. Le tout dans une atmosphère glauque où la tempête est omniprésente et où les déluges de boissons alcoolisées sont propices à une violence et à une exacerbation des passions. A cela s'ajoute le fantôme d'une sirène qui devient un objet de désir de la part des deux hommes et nous vaut des scènes oniriques qui relèvent du cauchemar. Précisons qu'il s'agit d'un film en noir et blanc et que c'est le format carré qui a été retenu. Voilà qui n'est pas banal et qui renforce l'aspect atypique de l’œuvre de Robert Eggers. Autant le dire : c'est un chef-d’œuvre d'une beauté à couper le souffle et réjouissant pour l'amateur de références tant littéraires que cinématographiques. Car le film est parcouru de mythes littéraires et philosophiques - citons entre autres Œdipe, les sirènes de l'Odyssée et bien sûr Prométhée (la dernière image est drôle - si l'on peut dire - de ce point de vue). Mais il faut encore mentionner le capitaine Achab - du reste cité clairement dans le film - et surtout l'univers de Beckett puisque l'on reconnaîtra facilement le duo Vladimir-Estragon qui devient sur la fin Pozzo-Lucky à moins qu'il ne faille songer aussi au duo sado-masochiste de Hamm et de Clov dans "Fin de partie". Bref, pas une seconde à s'ennuyer, tant le film est propice à un décryptage savant fait de clins d’œil permanents. Et l'on ne saurait oublier l'influence de cinéastes dont l'inévitable Stanley Kubrick, celui de "Shining", on l'aura deviné. Bien sûr, il faut encore saluer la performance des deux acteurs Willem Dafoe et Robert Pattinson, le premier nous régalant de tirades à la puissance éminemment shakespearienne. Enfin, la bande son est une authentique merveille : dès le début du film, le spectateur est agressé par des sons de sirènes, puis giflé par la tempête qui sévit autour du phare, puis ce sont des grincements, des feulements, des bruits sourds ou percutants, - éblouissante musique de Mark Korven, d'une rare intensité. Vous l'aurez compris : c'est un film à voir absolument, même s'il est profondément dérangeant. On n'en remerciera que davantage Robert Eggers, un cinéaste qui compte désormais...