« À quoi peut-on comparer la vitesse sinon à la poussée lente de la pensée qui progresse sur un plan métaphysique, pénétrant, isolant, analysant, décomposant tout, réduisant le monde à un petit tas de cendres aérodynamisées » ? C’est cette fissure au sol que le pilote remarque et qui constitue son repère pour décélérer, c’est cette réflexion sur l’existence et son inertie qui se construit par la vitesse et dans la vitesse, c’est ce corps extérieur auquel la voiture vient se heurter quand elle sort de piste : du sable, de la terre puis des étincelles, des flammes et des cendres. James Mangold, comme autrefois Blaise Cendrars, met en mots et en images la folie essentielle de l’homme à vouloir dépasser ses limites pour mieux prendre conscience de celles-ci, perfectionner sa machine et recommencer de plus belle. Ford v Ferrari est une immersion dans l’industrie technique et économique de la vitesse pure qui, derrière le spectacle qu’elle offre à des spectateurs et auditeurs passionnés, ne cesse de rappeler que cette vitesse pure a un coût – financier, humain – et que tout pilote est disposé un jour à payer le prix de ses rêves d’éternité. Aussi la colère de Ken Miles n’éclate-t-elle pas lorsqu’est annoncée la victoire d’un autre, et non l’égalité promise : il a conduit, il a vécu dans la vitesse, et ces heures de bonheur et de douleur mêlées valent toutes les médailles du monde. Le moteur de la Ferrari rouge lâche en pleine couse, et pourtant Miles pousse sa voiture jusqu’au maximum. Voilà ce qu’est, en fin de compte, la course automobile : une duel de chaque instant avec la mort, et dans le rétroviseur une vie passée et toujours sur le point de s’achever. Il faut accepter de se plier aux dures lois de la concurrence. Renoncer aux scandales, se contenter de la vitesse. La vitesse pure. Ce faisant, le réalisateur orchestre une guerre industrielle entre deux écuries rivales qui règlent leurs comptes sur les circuits, et la redouble en creux par une lutte non plus à échelle économique mais humaine. Car si Mangold filme très bien le vrombissement des moteurs sur les circuits, c’est l’humain qui l’intéresse avant tout, plutôt la relation destructrice qui unit l’homme et la machine perçue comme prolongement de ses perceptions sensibles. Miles est un modèle pour son fils, mais à aucun moment il ne le pousse à l’imitation servile comme c’est souvent le cas dans les films mettant en scène champions et prodiges (tel père tel fils). Non, le fils redessine sur une feuille de papier l’itinéraire que son père va suivre en France, il s’assied sur le sol goudronné du circuit avec dans le dos un coucher de soleil. Le jeune Peter est un témoin et un accompagnateur : il porte sur le monde automobile un regard d’enfant, un regard qui démasque l’hypocrisie ambiante et raccorde le pilote au danger de mort, à sa fragilité d’être humain enfermé dans un amas de ferraille. Ford v Ferrari croise donc l’introspection et le grand-spectacle et livre un bolide à la carrosserie impeccable et à la dramaturgie bien huilée qui, sans révolutionner la forme qu’il investit, l’investit avec talent et humanité, servi par deux excellents acteurs principaux, dont un Christian Bale magistral.