Ah ça ! C’était le bon vieux temps !
Le temps de la puissance sereine et assumée.
Le temps de la grandeur et de la fierté.
Une époque où on n’avait pas à s’excuser ou à se justifier…
Mais ce temps glorieux est désormais bien loin.
On ne peut plus ignorer que les choses ont changées ; que les lignes ont bougées.
Et parfois le meilleur moyen de faire survivre son passé ça reste encore de lâcher un peu du lest – de montrer quelque-peu patte « blanche » – dans l’espoir que dans le changement, au fond, rien ne change vraiment.
C’est en tout cas ce que je me suis dit en voyant sortir ce troisième volet « contemporain » d’ « OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire. »
Je repensais à ce lointain passé qu’était 2006.
Je repensais à cette époque où on pouvait sortir une somptueuse comédie satirique intelligente et délicieusement absurde sans que Twitter ne soit là pour bouillonner de fatwas et autre condamnations en humour déplacé…
…Et tout ça me fit du coup réfléchir à ce que ça devait être d’oser sortir un film pareil en 2021.
D’un côté le titre me rassurait.
L’état d’esprit d’origine semblait préservé.
De l’autre le passage de témoin me faisait peur.
Entre la culture de l’humour « Nul » d’Hazanavicius et le caractère brut de décoffrage de Nicolas Bedos, on est quand même en droit de voir un monde.
Entre tentation d’auto-censure d’un côté et provocation gratuite de l’autre, les risques étaient tout de même nombreux de connaître un naufrage avec ce troisième volet.
Mais à vaincre sans péril on triomphe sans gloire, nous dit le dicton, et on ne pourra pas retirer aux auteurs de cette « Alerte rouge en Afrique noire » d’avoir su prendre leurs responsabilités.
Car oui, s’il y a bien une chose dont on pourra surement tous se satisfaire avec cet épisode, c’est tout d’abord qu’ « OSS 117 » a su rester « OSS 117 ».
Il y a même là une belle continuité dans la rupture.
En même temps le deuxième opus avait déjà donné la formule et il suffisait de la reproduire pour s’en sortir sans trop de dommage : changer de lieu pour confronter ce bon vieux Hubert à d’autres représentations surannées, mais aussi et surtout changer d’époque pour accentuer encore davantage ce décalage entre l’ancien monde et le nouveau.
Ainsi, après le monde arabe des années 50 et l’Amérique latine de la fin des années 60, quoi de plus logique que d’emmener cette fois-ci notre fameux espion dans l’Afrique des lendemains de l’indépendance…
Au fond le chemin était déjà tout tracé. Il n’y avait plus qu’à suivre les rails.
En cela Nicolas Bedos se plie à l’exercice avec une discipline fort louable, aidé en cela par un Jean-François Halin resté aux commandes du scénario.
D’ailleurs la continuité de l’esprit OSS s’opère d’abord clairement dans ce domaine-là : dans l’écriture…
…Et surtout dans l’écriture du personnage principal, une fois de plus très efficace.
C’est d’ailleurs pour moi le gros point fort du film.
Halin a su préserver l’identité de son personnage mais tout en sachant habilement la faire évoluer.
Parce que – forcément – après deux films, la recette étant désormais connue, le risque était dès lors de s’embourber dans la répétition.
Ainsi notre OSS se doit-il de faire l’effort de s’adapter à son époque et notamment d’adapter son attitude. En découle un personnage dont l’assurance ne cesse de se cogner contre des auto-corrections d’autant plus savoureuses qu’elles amènent forcément à faire écho à des situations plus contemporaines.
Mais là où le film tire vraiment sa subtilité c’est qu’en adossant cette fois-ci notre bon vieux Hubert à un personnage pouvant lui-même incarner une caricature d’une autre époque – celle des post-boomers – on sort du schéma traditionnel et (osons le dire simpliste) instauré par les deux épisodes précédents.
Là où les personnages incarnés par Bérénice Béjo et Louise Monot n’étaient que de banales et fades Mary Sue censées faire ressortir tous les travers d’OSS, le personnage incarné par Pierre Niney opère quant à lui un étrange jeu de dévalorisation et de revalorisation mutuelles des deux personnages ; instaurant ainsi des postures plus ambiguës (et presque davantage cyniques) qui bonifient clairement la démarche humoristique originale.
Seulement, malgré ces quelques bonnes inspirations, ce troisième volet n’en reste pas moins prisonnier d’un passé encombrant.
Parce qu’on cherche justement à préserver l’unité de corps de ce qui est désormais une trilogie, on sent qu’Halin et Bedos multiplient les références aux épisodes précédents afin de satisfaire cette logique – ce qui est certes louable et d’ailleurs clairement pertinent dans l’intention - mais qui peut se révéler aussi pas mal contre-productif dans l’application.
Car à rester aussi régulièrement dans les pas de ses prédécesseurs – à reproduire aussi souvent des situations similaires afin qu’elles se fassent échos – le glorieux passé d’ « OSS 117 » devient très vite lourd au point d’être encombrant.
D’ailleurs j’avoue qu’à plusieurs reprises, j’ai clairement senti que le film cherchait à se contortionner dans tous les sens juste pour rallier un à un tous les passages obligés, au point qu’il y perde en rythme et en structure, patinant parfois même dans un pénible surplace.
Alors certes, c’était déjà le cas dans les deux épisodes précédents (enfin surtout dans le premier puisque le second était bien plus réussi de ce point de vue), mais dans le cas présent je trouve qu’il s’agit d’une caractéristique plus dérangeante, surtout au regard de l’identité spécifique que le duo Bedos / Halin a voulu donner à cet épisode.
Car oui, puisqu’il s’ancre dans le début des années 80, ce troisième opus a abandonné – logiquement – l’aspect suranné et figé des films d’espionnage des années 50 pour adopter celui plus tapageur des James Bond des eighties.
Et si l’intro en cela est des plus réussies – avec un héros plus débraillé, velu et molosse mais aussi et surtout cet amusant générique tout en décalage – au fur et à mesure du film, Bedos perd cet état d’esprit rafraichissant et rentre dans quelque-chose de plus convenu ; plus en rupture avec ces codes-là du genre.
Et si d’un côté il sait régulièrement compenser cet abandon par une imagerie rappelant les comédies françaises de l’époque, il peine à le retrouver plus tard quand cela pouvait s’imposer, notamment lors de certaines scènes d’action.
Le film y perd ainsi en unité et en énergie, et c’est dommage parce que c’est justement cela qui aurait permis de compenser une certaine inertie de l’écriture.
D’ailleurs, à bien tout prendre en considération, ce qui me surprendrait le plus dans ce film ce serait à quel point il peine à s’ériger comme un édifice stable et unitaire, tant il est tiraillé de toutes parts entre son envie de préservation et son ambition de rupture.
Surtout qu’à cela s’ajoute aussi tout un autre ensemble d’enjeux dont il est difficile de ne pas sentir l’influence.
Il y a d’abord ce désir de marteler des références de son époque au point que cela se fasse parfois à la truelle...
(Je pense notamment à la manière insistante de faire d’OSS une reproduction de Chirac au Zaïre.)
...Quand ce n'est pas parfois fait en dépit de tout bon sens...
(La séquence consacrée à l'informatique apparait comme totalement déconnectée du reste du film.).
Et à cela s'ajoute cette peur d’être mal interprété sur certains gags. Ainsi on insiste parfois un peu grossièrement pour effacer toute ambigüité, mais au final ça ne participe qu’à installer du malaise.
Or si le souci était encore une fois déjà présent dans les deux précédents opus (surtout le 1), je trouve que cette « Alerte rouge » présente le terrible inconvénient de donner l’impression d’un plafond de verre infranchissable, voire presque d’une régression à ce sujet.
La chose m’est par exemple apparue particulièrement prégnante au sujet des personnages féminins qui peinent une fois de plus à prendre de l’épaisseur, et malheureusement ici le personnage incarnée par Fatou N’Diaye n’a pas échappé à ce triste constat.
Malgré tout – et au final – quand bien même cette « Alerte rouge en Afrique noire » ne m’a donc que très inégalement convaincu, il ne m’en a pas moins globalement satisfait.
Car si d’un côté les instants de redites, d’insistance, de malaise (pauvre Gilles Cohen mais aussi pauvres effets numériques !) - voire même parfois de lassitudes - ont été trop nombreux pour ne pas impacter mon immersion dans le film, d’un autre côté j’ai trouvé dans ce troisième opus trop de générosité, de bonnes idées, et parfois même de somptueuses subtilités, pour considérer que cet épisode n’assure pas l’essentiel.
Je tenais notamment à souligner cette idée géniale qui a consisté à conclure l’intrigue du film par l’assassinat du président et de ses sosies, jusqu’à ce que la rebelle soit enfin arrêtée et que le dernier sosie en vie reprenne sa place sur le trône – et sa conversation avec OSS ! – comme s’il n’y avait eu aucune substitution d’individu entre le début et la fin de la scène.
L’air de rien, c’est une manière assez subtile – et efficace d’un point de vue comique – pour représenter la succession de présidents africains – tous semblables dans leur politique – malgré l’avènement ponctuel de révolutions et de coups.
Ainsi faisant, l’air de rien, cet « OSS 117 » est parvenu – certes non sans mal – à remplir sa mission qui, à bien la considérer, était quand-même loin d’être évidente.
Car avec le temps qui passe, il devient effectivement de plus en plus difficile d’assumer ce glorieux passé qui faisait jadis la fierté de la France : j’entends par là l’irrévérence et la liberté de ton.
Mais au prix de quelques pattes blanches maladroites, il y est parvenu, notre OSS, à nous faire de son Afrique noire une comédie qui a le mérite de préserver l’essentiel.
Alors bravo agent 117…
…Et au plaisir de vous retrouver pour une prochaine mission.