Avec "La cordillère des songes", le réalisateur chilien Patricio Guzmán termine sa trilogie commencée en 2010, dans le nord du Chili, avec "La nostalgie de la lumière", et continuée dans le sud, en 2015, avec "Le bouton de nacre". "La cordillère des songes" faisait partie de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes où il a été projeté en séance spéciale et il a obtenu l'œil d'or du meilleur film documentaire, ex æquo avec "Pour Sama". Avec ce qui se passe aujourd'hui au Chili, "La cordillère des songes" est d'une brulante actualité. En effet, que ce soit dans les commentaires proposés par le réalisateur ou dans les conversations avec l'écrivain Jorge Baradit et avec le documentariste Pablo Salas, le film insiste sur le fait que si les enlèvements et les tortures ne sont plus d'actualité au Chili, le système économique néolibéral, en provenance directe de l'école de Chicago et institué du temps de la dictature de Pinochet, sévit toujours dans ce pays, creusant toujours plus les inégalités. Des inégalités qui font que, depuis un peu plus d'une semaine, les chiliens sont dans la rue et on en est, à nouveau dans ce pays, à compter les morts dus à la répression. Un film d'une brulante actualité en ce qui concerne le Chili, mais pas que : un peu partout dans le monde, ces mêmes politiques libérales creusent les inégalités, un peu partout dans le monde les peuples s'en aperçoivent. Que vont-ils faire ? Le film doit beaucoup à Pablo Salas, un documentariste charismatique resté au Chili malgré la dictature et qui, depuis 37 ans, filme inlassablement les manifestations que le pays a connues, passant du Bétamax au VHS puis au numérique, accumulant des milliers d'heures de l'histoire de son pays, avec des hommes et des femmes qui résistent courageusement face aux canons à eau, aux coups de matraques sur la tête et aux coups de pied dans le ventre. Toutefois, "La cordillère des songes" n'est pas que cela. C'est aussi un film très poétique avec de magnifiques images, prises depuis un drone ou depuis un hélicoptère, de ce mur gigantesque qu'est cette chaine de montagne qui culmine à plus de 6000 mètres, la cordillère des Andes, qui, en parallèle avec l'Océan Pacifique, fait du Chili une sorte d'île très allongée, avec tout ce que cela implique sur la mentalité de ses habitants. Dans sa jeunesse, Patricio Guzmán ne ne s'intéressait pas à la Cordillère des Andes : elle n'était pas assez révolutionnaire pour lui ! Aujourd'hui, à force de la survoler lorsqu'il se rend dans son pays d'origine depuis la France où il réside, il se demande ce qu'elle a à raconter sur l'histoire de son pays. Pour ce faire, le réalisateur nous met en relation avec un peintre, deux sculpteurs utilisant les pierres issues de la montagne, une chanteuse, Javiera Parra, petite fille de Violeta Parra, la compositrice de "Gracias a la vida", un vulcanologue et donc, Jorge Baradit et Pablo Salas. Le résultat est un film à la fois puissant par ce qu'il dit et magnifique par ce qu'il montre. Un espoir pour Patricio Guzmán : que son pays retrouve un jour sa gaieté, sa joie de vivre.