Le film de Sergei Loznitsa se déroule dans le Donbass, une région de l’est de l’Ukraine occupée par divers gangs. La guerre continue entre l’armée ukrainienne, soutenue par des volontaires, et les gangs séparatistes soutenus par les troupes russes. "C’est une guerre hybride qui se déroule en même temps qu’un conflit armé, accompagné de meurtres et de vols à une échelle massive et se traduisant par l’humiliation progressive des civils. Partout, il n’y a que peur, trahison, haine et violence. La société s’écroule et la mort et le silence morbide règnent. L’état de guerre a atteint son paroxysme", indique le metteur en scène.
L’une des principales raisons de cette guerre, qui a débuté en 2014, est la chute de l’URSS et l’échec du "projet d’avenir" soviétique. Un tel effondrement aurait pu être suivi par des réformes fondamentales et une complète réorganisation de la société ou par sa décadence régulière jusqu’à sa destruction. Dans ce cas particulier, la première possibilité après l’effondrement de l’URSS était une réforme progressive ayant pour but la création d’un modèle de développement à l’européenne (en mettant l’accent sur les droits individuels, la loi et le respect de la propriété privée) ; la seconde possibilité était le retour à une existence du type régime totalitaire soviétique. Sergei Loznitsa précise :
"Ces deux possibilités sont totalement incompatibles ou plutôt, elles s’excluent mutuellement. Les Ukrainiens, dans leur écrasante majorité, ont choisi le modèle européen alors que la Russie s’est rapidement redirigée vers un modèle soviétique.Il faut garder en tête que le Donbass est une région industrielle qui s’est développée pendant la première moitié du XXème siècle en employant des travailleurs qui n’étaient pas payés : les prisonniers du goulag. Leurs descendants se sont installés dans la région et ont fondé une étrange communauté autour des usines et dans les baraques des camps. Ces dernières années, surtout sous l’ancien président Viktor Ianoukovytch qui était originaire du Donbass, la région s’est considérablement criminalisée."
"Il existe un dicton banal : lorsque l’histoire se répète, la première fois c’est sous la forme d’une tragédie et la seconde d’une farce. Ce n’est pas vrai. Il existe un troisième reflet des mêmes événements, de la même intrigue - le reflet déformé d’un monde souterrain dans un miroir incurvé. L’intrigue est improbable et en même temps réaliste ; elle existe vraiment, près de nous." (Varlam Chalamov dans sa nouvelle "Douleur")
Sergei Loznitsa a voulu se centrer, via son film, sur le type d’êtres humains engendrés par une société dans laquelle l’agressivité, le déclin et la désagrégation sont les maîtres. Le cinéaste raconte : "Ce sont les gens, leur mentalité et les relations qu’ils entretiennent qui préparent le terrain des catastrophes historiques. La nature humaine se révèle lorsque la société s’écroule, quand les lois ne s’appliquent plus, quand le sol s’ouvre sous nos pieds, quand on ne peut plus s’appuyer sur les institutions mais seulement sur sa force spirituelle (qu’on en soit doté ou pas) pour résister au chaos. C’est dans ces moments (généralement pendant des périodes de grande instabilité dues aux guerres) que la notion d’humanité se définit pour les années à venir."
Donbass, quatrième long métrage de fiction réalisé par Sergei Loznitsa, a fait l’ouverture de la section Un Certain Regard au festival de Cannes 2018 et a reçu le Prix de la Mise en scène.
Donbass est constitué de 13 épisodes, chacun racontant une histoire qui se déroule entre 2014 et 2015 dans les territoires occupés. Même si ce film est une oeuvre de fiction, il est inspiré d’événements réels, aussi incroyables qu’ils puissent paraître. Sergei Loznitsa explique : "J’ai glané et choisi les histoires les plus frappantes et les anecdotes les plus éclairantes. Ces épisodes sont liés par différents personnages qui nous guident dans le récit d’une situation à l’autre. On passe progressivement d’une comédie absurde à une tragédie absurde. Les protagonistes sont des citoyens ordinaires."