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Plume231
3 864 abonnés
4 639 critiques
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4,0
Publiée le 27 juillet 2009
Un huis clos qui se révèle dès les premières minutes très prenant grâce à une intrigue où les rebondissements sont nombreux et la galerie de personnages haute en couleur toute comme les acteurs qu'ils les incarnent. Les poncifs sur les chinois sont bien sûr présents dans ce film mais sont beaucoup moins nombreux que je ne l'aurais imaginé. Mais «Shanghaï Express» est surtout un film Josef von Sternberg-Marlene Dietrich. Avec une photographie en noir et blanc d'une beauté à couper le souffle, le réalisateur utilise à merveille la photogénie de son actrice fétiche et franchement je n'exagère pas quand j'écris que certains plans d'elle dans ce film sont des véritables oeuvres d'art. Jamais un cinéaste n'a jamais autant sublimé une actrice. Rien que pour cette raison, ce film doit être absolument vu.
Chacun des sept films que Josef Von Sternberg tourna avec Marlène Dietrich devenue sa muse après qu'il fut allé la dénicher sur la scène berlinoise pour le tournage de "L'Ange Bleu" (1930) constitue un écrin dédié à la beauté terriblement sexuée d'une femme dont l'émancipation est totale même lorsqu'elle se soumet à un homme ou se dévoue à une cause. L'univers de Sternberg d'apparence exotique et baroque se révèle néanmoins empreint des préoccupations d'un homme étroitement lié à son époque. Que ce soit les empires vacillants d'avant la Grande Guerre ("Agent X27", "L'impératrice rouge"), l'aventure colonialiste ("Morocco", "Shanghaï Express"), ou le Berlin décadent annonciateur du nazisme ("L'Ange Bleu"), la femme incarnée par Dietrich qu'elle soit chanteuse de beuglant, ancienne prostituée, espionne ou future impératrice, occupe un rôle majeur, rappelant que des deux sexes, le plus faible n'est pas obligatoirement celui désigné par les livres sacrés et les pratiques usuelles. La sublimation de sa star par une esthétique savamment étudiée se nourrit pleinement du cadre choisi pour les intrigues et inversement. L'ensemble étant teinté en sous-texte de la relation très compliquée qu'entretenait de toute évidence le réalisateur avec son actrice. Les personnages masculins de ces sept objets artistiques uniques qui font face à Marlène depuis Emil Jannings jusqu'à Lionel Atwill, en passant par Adolphe Menjou, Clive Brook, Herbert Marshall sont des incarnations à gros traits du réalisateur. Amants ou maris frustrés de ne jamais pouvoir réellement posséder une femme qui ne se donne jamais complètement, sans doute soucieuse de ne jamais perdre le contrôle. "Shanghai Express" où Marlène Dietrich se dépare d'une partie de son assurance un peu bravache, révèle une fragilité et une sensibilité jusqu'alors peu entrevues. Sans doute parce que Sternberg y met en scène à travers le personnage du médecin militaire distant, hautain mais aussi maladroit incarné par Clive Brook le fantasme d'être à nouveau désiré par celle qu'il a guidée vers la gloire et qui s'est très vite émancipée de son Pygmalion. Pendant le long huis clos que sera ce voyage conduisant de Pékin à Shanghai un aréopage assez peu reluisant de la faune colonialiste, la demi-mondaine dénommée Shanghai Lily va tenter de réparer la rupture qu'elle a elle-même provoquée d'une idylle vieille de quatre ans après avoir abuser de son pouvoir de séduction. Toujours avide d’éprouver l'amour du docteur en lui faisant endurer le supplice de la jalousie. Programme réjouissant qui se soldera après bien des péripéties par la seule fin réellement optimiste du cycle entamé en 1930 à Berlin. Cette déclaration d'amour qui ne porte pas son nom est somptueusement éclairée par Lee Garmes, le chef opérateur favori de Sternberg qui récoltera pour l'occasion un Oscar. Les plans en clair-obscur montrant Shanghai Lily en train de prier dans son compartiment pour son amour prisonnier des révolutionnaires chinois sont restés les plus célèbres de l'actrice à son summum. Sans oublier ce plan saisissant de l'énorme cheval de fer se mouvant avec délicatesse dans les quartiers populaires de Pékin, frôlant les frêles habitations avant de laisser le passage à un bœuf récalcitrant. Si le film accède incontestablement au rang de chef d'œuvre pour ses qualités esthétiques renversantes, difficile malgré tout d'établir une hiérarchie entre ces sept films qui éclairent chacun sous un angle différent les nombreuses facettes d'une Marlène Dietrich rendue à jamais insaisissable et inaccessible par le talent et l'amour inassouvi de Josef Von Sternberg. Un Josef Von Sternberg qui après cette expérience émotionnellement très intense et artistiquement incomparable ne retrouvera plus jamais pleinement le goût d’exercer son art.
Typique de son auteur, cette troisième collaboration entre le grand Sternberg et la non moins grande Marlene Dietrich débouche sur une oeuvre flamboyante, d'une totale clarté, où la complexité des émotions véhiculées et de la virtuosité époustouflante de la mise en scène devient purement et magiquement d'une fluidité et d'une limpidité exemplaire. Un bijou à redécouvrir.