Clint Eastwood a le cinéma dans le sang. Il parvient à fabriquer un héros à partir d’un vrai salopard –attention, pas un méchant, juste un hédoniste qui n’a pensé qu’à son plaisir toute sa vie, et qui ne s’est jamais trop soucié de moralité. Un certain type d’américain ultralibéral, pas un criminel –d’autres penseront que si. D’ailleurs, s’il trouve une sorte de rédemption à la fin, c’est plutôt grâce aux circonstances, et pas grâce à lui. Ce héros made in Eastwood a forcément quelque chose de sympathique. Il fustige à longueur de temps tout ce qui vient d’internet et des mobiles, ça amuse. Un de ses plaisirs est de cultiver les daylilies, de belles grosses fleurs qui fanent le soir même (son nom en français, hémérocalle, fait plutôt penser à une maladie grave). Il adore les chansons de country, qu’il chante en voiture et qu’il danse dès qu’il peut, comme “A Day To Say Thank You�, “Cat In The Hat�. Il sait où se procurer les meilleurs sandwichs de porc effiloché du Midwest, même s’il doit faire un crochet pour s’y rendre, indépendamment de ses engagements. Et pas seulement les meilleurs sandwichs, les femmes aussi. Avec tout ça, fait-il le bête ? est-il réellement inconscient ? Il faut savoir que l’histoire est tirée d’une histoire vraie (Leo Sharp) pour croire à sa vraisemblance. Mais l’intérêt du film n’est pas juste le personnage, même s’il est incarné par Eastwood aux soixante ans d’expérience, son élégante nonchalance, son charme, sa complexité, ses idées discutables. L’intérêt est aussi la mise en scène, son art d’accorder (contraster, assouplir, colorer) le personnage avec les paysages, le soleil, les intérieurs, y ajouter la dose optimale d’humour ou de brutalité –une recette qui ne s’enseigne pas. Car Eastwood, à 88 ans, joue et dirige –il ne l’avait pas fait depuis 10 ans. Un exploit qui est double. Le chanteur de country Toby Keith a fait la chanson du générique de fin “I Just Don’t Let The Old Man In� (je laisse pas le pouvoir au vieil homme), qui est précisément, paraît-il, ce que Eastwood lui aurait répondu, avant de se lancer dans le film, quand Keith lui avait demandé “How do you do it, man?� (mais comment tu fais ?)