Clint Eastwood a beau approcher de ses 90 ans, il n’a rien perdu de sa superbe pour parler de l’être humain dans toute sa splendeur. Et comme souvent dans ce domaine, il se met à la fois devant et derrière la caméra, comme pour montrer que c’est son dada. C’est une façon de garder les rênes à tous les niveaux… Mais j’ai aussi comme la vague impression qu’il a subitement accéléré le rythme de ses productions, après une « pause » de deux ans et demi après "J. Edgar" en tant que réalisateur. Est-ce parce que lui-même sent que le temps passe et qu’il a encore bien des choses à nous dire ? Sans doute, car on ne peut acheter le temps. Ni l’acheter, ni le racheter. Ce qui expliquerait au moins en partie pourquoi il s’est saisi de l’histoire de Leo Sharp (rebaptisé Earl Stone dans le film) par l’intermédiaire de Nick Schenk, le scénariste de "Gran Torino". Voilà un magnifique partenariat qui promet un grand moment ! Mais c’est surtout la bande-annonce qui promet du lourd. En ce qui me concerne, je l’ai trouvée très bien faite, en ne révélant que ce dont il y a besoin pour accrocher le spectateur. Et en plus, elle m’a donné le frisson ! Déjà ! Alors il était hors de question de rater ce "La mule", annoncé comme un nouveau "Gran Torino". Eh bien dans les faits, c’est un peu vrai. Le scénario de "La mule", tel qu’il a été écrit, ressemble par son style à celui de son glorieux aîné : une présentation minutieuse des personnages, une lente montée en tension qui se fait par paliers, et une chute en apothéose par une pirouette que le spectateur n’attend pas en dépit des habitudes d’Eastwood pour surprendre son public. Le constat est quelque peu immoral : on devient admiratif de cette mule la plus vieille du monde. Déjà qu’on trouvait ce vieux attachant malgré ses nombreux défauts étalés par ceux et celles qui ont partagé sa vie ! Et pour cause… Mais j’entends déjà dire certains que cette chute, aussi splendide soit elle, le duo Eastwood/Schenk n’ont pas dû aller la chercher bien loin. Pensez donc ! Ce n’est pas tout à fait ainsi que l’histoire se termine. Ceux qui connaissent la véritable histoire de Leo Sharp pourront le confirmer. Sinon il ne vous reste plus qu’à fouiller sur la toile. Eh oui, quelques libertés ont été prises, tout en gardant l’essentiel de cette histoire. Mais cela permet à Eastwood de nous conduire sur une bien jolie fin, savoureuse à souhait, avec à la clé une morale qui vous colle une baffe à vous démonter la tête et ébranler vos certitudes. On sait tous qu’Eastwood a un goût particulier pour les histoires réelles un peu (beaucoup) à part, mais au vu des thèmes présentés, c’est à se demander si la destinée de Leo Sharp n’a pas été dûment choisie : les valeurs de la famille, la remise en question de sa propre personne, les valeurs humaines… Bref ! Tout ce qui constitue l’essence même de la vie ! Autrement dit la vie, quoi… Eastwood aurait-il trouvé un écho par rapport à sa propre vie ? Après tout, quand on a eu une carrière comme celle qu’il a eu… Toujours est-il que je ne reviendrai pas sur la qualité des acteurs quels qu’ils soient (en particulier Dianne Wiest, particulièrement touchante , et Bradley Cooper) car d’autres allocinéens s’en sont déjà chargés, mais elle donne une belle crédibilité à cette histoire singulière, d’autant que tout a été filmé avec une grande simplicité, sans artifice aucun : rien ne semble illogique, au contraire tout paraît même très plausible. Nous savons tous que les personnes âgées deviennent naïves, et en ce sens Eastwood en fait la parfaite démonstration. Mais ces anciens-là, ils sont tellement entiers qu’ils assument leurs actes et sont capables d’apprendre de leurs erreurs. La peur de mourir seul, sans doute… Alors quand ils trouvent le moyen de parvenir à réaliser leur quête… ils ne sont pas prêts de le lâcher ! Cela bien évidemment dans la condition qu’ils aient pour ainsi dire toute leur tête, en tout cas un minimum de discernement. C’est le cas d’Earl Stone. Mais le plus étonnant, c’est que l’activité d’origine du personnage central correspond tout à fait à sa psychologie. Comme quoi, le hasard fait parfois bien les choses. Il est horticulteur, spécialisé dans une fleur en particulier. Dans la stricte vérité des faits, Leo Sharp cultivait des hémérocalles, ces liliacées dont le bouton ne fleurit qu’un jour. Dans le film, je n’ai malheureusement pas prêté attention à ce qu’Earl Stone cultivait. Des lys ? Des hémérocalles ? Mais comme je l’ai dit, ces fleurs ont des caractéristiques qui correspondent en tout point à l’évolution de son personnage, ce qui est d’ailleurs confirmé par la bouche même de Mary (Dianne Wiest). Alors même si "La mule" ne dégage pas la même puissance que "Gran Torino" ou "Million dollar baby" (ce qui explique pourquoi je ne donne pas la note maximale), et cela en dépit de la musique discrète mais qui accompagne merveilleusement le film et qui souligne avec beaucoup de justesse la lente montée en tension, il n’en reste pas moins un film fort qui donne à réfléchir. Sans compter qu’une certaine admiration envers ce personnage s’insinue en nous, doublée d’une profonde sympathie. Au point d’avoir peur pour sa personne, au même titre qu’Earl quand tout change. Oui, Eastwood a beau vieillir, il reste un excellent acteur car on sent bien la peur qui le submerge quand il se fait bousculer. Et il demeure un grand réalisateur malgré quelques ratés ici et là. A quand son Oscar d’Honneur ? Il le mérite ! Après tout, il a déjà eu un César d’Honneur alors ce ne serait que justice que de lui offrir cet Oscar visant à récompenser une carrière prestigieuse.