A sa sortie, "Miller's Crossing prouvait au monde ébloui (... enfin, pas tout-à-fait...) la capacité qu'avaient les Frères Coen de dépasser leur statut originel d'illustrateurs de genre, et aussi d'amuseurs publics, et de faire du "vrai cinéma" - mais attention, un cinéma encore bien décalé quand même : brillant sens de l'humour noir, création d'une véritable atmosphère, invention de seconds rôles fouillés et superbes, arabesques d'une mise en scène dessinant des circonvolutions pour le moins tortueuses (certains critiques parlèrent, comme pour Cronenberg, de "Film-cerveau"), décors confinés enfermant les personnages dans une sorte de prison mentale... Il faut néanmoins admettre que revoir "Miller's Crossing" en 2013 est une (légère) déception, sans doute parce que depuis, les Frères Coen ont fait clairement beaucoup mieux, mais aussi parce que, avec le recul, on perçoit mieux ce que ce film a encore de formaliste, voire de maniériste (cette très belle image, cette élégance dans la mise en scène, ces dispositifs de narration complexes). Finalement, le doute qui naît, c'est si toute cette virtuosité ne dissimulait pas finalement une angoissante vacuité... A l'image de son troublant personnage principal, oscillant avec ambiguïté entre maîtrise et impuissance, ce cinéma de pure intelligence n'aurait-il "pas de coeur" ? En tous cas, de par la sophistication de son intrigue (qui semble assez inspirée de "La Moisson Rouge" de Hammett) et du choix culotté de la saturation des dialogues, "Miller's Crossing" n'est certainement pas un film facile, et encore moins un film "aimable".