« Mais vous êtes fous » est le tout premier long métrage d’Audrey Diwan, et pour un premier film, elle n’a choisit pas la facilité. Assez court, le film tarde un peu à démarrer. On peut le découper en trois parties plus ou moins distinctes, la première dépeint un homme à qui tout réussit mais complètement dépendant à une addiction qui lui bouffe la vie. Il y a bien quelques signes à décoder : cette excitation irraisonnée par moment (que son épouse trouve naïvement charmante), ces hallucinations visuelles (les lampes) et auditives (les sifflements), mais comment son entourage pourrait deviner qu’il est esclave de la drogue ? Puis tout s’effondre, deuxième partie : les médecins, la police, les avocats, les amis qui vous lâchent, les beaux-parents qui vous tournent le dos, les experts qui scrutent votre quotidien. C’est une longue partie qui mène l’intrigue presque vers le polar. Puis la dernière partie, la plus douloureuse, la plus pertinente aussi, sur la difficulté de reconstruire une histoire lorsque la confiance a été brisée. Le Bonheur, le Drame, puis la Reconstruction, le film est presque calé sur ce modèle là, bien appliqué, presque scolaire. A part le début qui tire un peu en longueur, il tient bien la route. Même si le scénario peut paraitre un peu bancal par moment, j’y reviendrai, on ne s’ennuie pas et nous aussi, spectateur, on voudrait comprendre comment la drogue a pu arriver jusque dans l’organisme d’Anna et des filles. Dans la salle, on échafaude même quelques théories, mais la vérité est presque basique, scientifiquement crédible et assez flippante, je dois bien le dire. La musique est très sympa et plutôt bien utilisée, les scènes ne tirent pas en longueur, il y a des jolis plans, des enchainements visuellement intéressants, tout cela est très appliqué, comme le sont souvent les premiers films. Audrey Diwan réussi son film dans la forme et elle s’est offert un casting de premier choix : Pio Marmaï et Céline Sallette forme un couple très crédible et très vite attachant. Lui a le charme des hommes fragiles, on le sent toujours sur la ligne de crête. Il incarne très bien la fragilité, sans la surjouer, il arrive à être émouvant sans jamais être pathétique. Céline Sallette, elle, est juste parfaite dans le rôle d’Anna. Le regard qu’elle porte sur son mari, qu’elle aime toujours sincèrement, est toujours lourd de non dits. Ses silences sont assourdissants, elle est d’une justesse et d’une retenue parfaite. Au-delà de l’histoire de Roman, de la cocaïne, c’est son personnage à elle qui m’interpelle. Ce ne sera peut-être pas le cas de tout le monde mais moi je la comprends parfaitement, cette femme. Tout le monde lui dit de quitter son mari pour pouvoir récupérer ses filles, tout le monde l’incite à se poser en victime, à couper les ponts, à l’abandonner à son sort, à jouer à l’épouse trahie. Elle a tout à perdre à rester avec son mari, à rester amoureuse, à ne pas se dresser contre lui, elle à tout à perdre et pourtant elle tient bon parce qu’elle l’aime, et que cet amour là est plus fort que les épreuves qu’ils traversent. Cet amour là, qui imprègnent toute la partie centrale du film, est assez émouvante je trouve : il y a dans le personnage d’Anna une dignité et une sincérité qui est très touchante, en tout cas qui, moi, me touche. Ensuite, il s’agit de reprendre une vie de couple et une vie de famille alors que la confiance n’est plus là,
et là, c’est autre chose
. Là, tout l’amour du monde n’y suffira peut-être pas. Le scénario, inspiré par un fait divers bien réel, pose essentiellement cette question là, celle de l’amour à l’épreuve de la trahison. On sent que c’est cela qui guide le scénario, bien plus que la question de la drogue en tant que telle. D’ailleurs, c’est de ce côté-là que le scénario de « Mais vous êtes fous » semble un peu léger.
On reste assez interdit devant le sevrage rapide et « facile » de Roman, surtout après avoir posé le problème d’une très longue addiction dans le temps ! Et puis, étrangement, avec une enquête pour consommation de drogue sur le dos, il continue d’exercer et de soigner des patients, là encore c’est très curieux !
Finalement, on sent bien que la drogue n’était qu’un prétexte pour le scénario d’Audrey Diwan, ça aurait pu être autre chose. Ce qu’elle voulait mettre en scène c’est un couple qui explose sous le coup d’un secret puis tente de se reconstruire, si tant est que cela soit possible. Toute cette partie psychologique est réussie, je le reconnais, mais le film s’en trouve un peu déséquilibré, trop rapide et trop indulgent sur des aspects pourtant cruciaux du problème de Roman. Ce bémol étant posé, « Mais vous êtes fous » est un film touchant qui mérite le déplacement, émouvant sans être ni caricatural ni jamais verser dans le patho, et surtout parfaitement incarné par deux comédiens d’une justesse remarquable.