“Polar époustouflant“, “virtuosité sidérante“, lit-on. Ce n’est quand même pas le film du siècle. Le Lac aux Oies Sauvages est un beau film, et même un bon film, du genre « art et essai », qui ne plaira pas à tout le monde. C’est surtout un beau film : l’esthétique et la sensualité des sons et des images ravissent du début à la fin, que ce soit dans la pluie, la boue, la pauvreté, le sang ––les scènes de violence (dont certaines à base de parapluie ou de corde à sauter) sont d’une originalité, pour le coup “époustouflante“ ––les scènes intimes aussi (comme la finale sur une barque). De plus, pour l’occidental, le film se passe en Chine (attention, ce n’est pas un documentaire animalier!) : les expressions chinoises des visages changent des simagrées faciales américaines. Cela fait partie des attraits du film, avec ce magnifique art de filmer de l’auteur (Diao Yi Nan). Quant au côté « thriller » du film… On devine l’histoire ; on ne la suit pas vraiment : au bout d’un moment, on ne s’y intéresse plus. On peut y voir un joli récit sur le sacrifice ou la rédemption, mais ça reste un récit de faits divers, dans un milieu interlope à la chinoise, sur fond de bikers, de dealers, de prostituées (joliment appelées “baigneuses“, “bathing beauty” en anglais). C’est la mise en scène qui fascine ––ces impressions surréalistes, ces scènes inattendues, c’est fellinien. Ce film est un bijou ensorcelé : on voudrait être trempé sous cette pluie, être affamé devant cette soupe chinoise, être sur cette piste de danse, etc. On en a plein les yeux et pleins les oreilles. L’acteur principal, Hu Ge, star de la TV chinoise paraît-il, est remarquable, personnage mâle et pâle, confidentiel, aux expressions mesurées mais aux accès ultra violents ––ça rappelle Ryan Gosling, et dans une moindre mesure Robert Mitchum. On reste donc sous le charme de ce film, au détail plutôt incompréhensible, sans message majeur, presque froid, mais magique, comme l’inénarrable image qu’on garde du tube disco « Rasputin » (d’il y a quarante ans), dansé par une armée studieuse de jeunes en baskets lumineuses, avant qu’il ne se retrouvent dans une chasse à l’homme. ––Et c’est impossible (ou impensable) de voir en VF ce film tourné dans un dialecte local : même les chinois (qui parlent le mandarin) doivent le voir sous-titré. C’est l’immersion totale. A.G.