Partir. Quitter une vie qui ne nous plaît pas. Gagner la terre où l’on se bat au nom de la foi et, ce faisant, la reconnaissance. L’Adieu à la Nuit s’ouvre sur une éclipse solaire, plonge le verger et le domaine équestre dans une obscurité passagère qui ne fait qu’abriter les arbres en fleurs l’espace d’un instant. Drame cosmique où les êtres, telles des étoiles, cherchent la lumière au péril de leur existence. La mort d’une étoile ne s’effectue-t-elle pas dans un jaillissement de blanc ? Ou de rouge, parfois. Des cerises au sweat d’Alex. André Téchiné choisit un cadre rural fortement structuré autour de valeurs communautaires pour mettre en scène la désagrégation d’un jeune homme aussitôt suivie de sa refonte dans une famille de substitution. D’entrée de jeu, Alex se définit comme orphelin : une mère décédée, un père à l’étranger. Son retour dans la campagne s’accompagne d’une quête désespérée, celle de la connexion internet, du dialogue avec les membres de sa nouvelle famille. L’entièreté du film repose sur l’impossible transmission des ondes au sein d’un complexe équestre, petit îlot de tranquillité situé en dehors des préoccupations idéologiques qui occupent la France. Pourtant quelques résonances éclatent çà et là : la radio de la voiture expose le score du Front National aux élections départementales, un score en hausse, un score qui annonce la victoire. Les ondes, tout passe par les ondes. Les lieux intimes se muent rapidement en zone de conflit entre deux visions du monde : la grand-mère cherche à comprendre son petit-fils, son petit-fils refuse d’écouter les craintes de sa grand-mère. Dans ce dialogue de sourds construit comme un vaste crescendo au terme duquel l’adieu se prononce et se vit, naît la nécessité de la parole. Parole dans une langue commune, dans un langage commun. Une parole dont l’utilité doit avant tout taire les silences, toujours plus loquaces que les bribes d’informations glanées lors des repas. L’Adieu à la Nuit se charpente sur l’incapacité d’une grand-mère à communiquer et à communier avec son petit-fils. Les deux termes se ressemblent et partagent l’idée d’union autour de valeurs communes. Malgré son athéisme revendiqué, Muriel mène un train de vie religieux : le jour est consacré à ses chevaux, à l’entraînement, aux concours et aux repas ; avec la nuit commence la chasse au sanglier. À l’instar des cerisiers, Muriel est enracinée dans son environnement. Au contraire d’Alex dont les va-et-vient expriment un besoin d’exil, un sentiment d’apatride écarté de sa véritable patrie. Ils sont inconciliables. Et c’est ce que filme Téchiné. Un sauvetage, in extremis. Qui débouche sur la haine de l’un et le silence de l’autre. Mais qui dessine surtout une perspective : l’écriture. Les mots savent recréer du lien, recoller les morceaux. Tel est l’acte de foi du cinéaste. Il faut maintenir le contact et faire sentir l’amour, un pas après l’autre. « La religion, ça donne de l’espoir », affirme Alex. La seule arme capable de combattre le fanatisme – et à la portée de chacun –, c’est l’amour.