L’histoire de jeunes gens qui rejoignent l’islamisme radical a déjà été abordée plusieurs fois au cinéma. Le film d’André Téchiné ne laisse pas pour autant une impression de déjà-vu car il sait s’approprier ce sujet pour lui donner une empreinte nouvelle. Le cinéaste compose son récit dans un environnement qui lui est familier, celui du sud-ouest, il convoque une actrice (Catherine Deneuve) avec qui il a tourné de nombreux films, et se focalise sur des thèmes qu’il aime aborder : celui des jeunes gens qui se marginalisent, celui des liens familiaux qui se fragilisent, celui des regards qui vacillent.
Rien n’est aussi simple qu’on croit lorsqu’il est question de quelqu’un qui se radicalise au point de vouloir rejoindre le Djihad en Syrie. Certes le plan d’ouverture du film, qui montre une éclipse de soleil, semble surligner le sens qu’il faut lui donner, un sens qui en contredit le titre d’ailleurs. Mais cette contradiction même montre qu’il ne faut pas trop se fier aux apparences. Alex ne semble pas être quelqu’un de particulièrement éprouvé par la vie, bien qu’ayant perdu sa mère, morte lors d’un accident de plongée sous-marine, et étant séparé de son père qui a refait sa vie aux Antilles. Le garçon cependant n’est pas livré à lui-même. Il peut s’appuyer sur les deux personnes qui l’aiment : sa grand-mère Muriel (Catherine Deneuve) et sa petite amie Lila (Oulaya Amamra).
Cette dernière l’aime, sans aucun doute, mais c’est elle également qui a joué de son emprise sur lui non seulement pour le convertir à l’Islam mais pour lui faire rejoindre le rang des islamistes radicaux. Ce que Muriel découvre avec stupeur peu après la venue d’Alex au domaine qu’elle dirige avec l’aide de Youssef (Mohamed Djouhri). L’action du film se concentre presque entièrement sur les cinq jours du début du printemps. Cinq jours que le cinéaste relate un peu comme s’il s’agissait d’une enquête.
Muriel, découvrant petit à petit le projet de son petit-fils qui, ayant besoin d’une grosse somme d’argent pour rejoindre la Syrie, l’a volée, entreprend tout ce qu’elle peut pour empêcher cette folie. Elle va jusqu’à enfermer le garçon, mais pour commettre ensuite l’erreur de confier la clé du lieu à un djihadiste repenti à qui elle a confié la mission de parlementer avec Alex (c’est, à mon avis, l’une des petites faiblesses scénaristiques du film que la facilité avec laquelle Muriel donne cette clé).
En voyant le film, tout comme Muriel, on ne peut pas ne pas être étonné par la radicalisation d’Alex. Le réalisateur se garde de donner des réponses simplistes. L’influence de Lila et des discours des islamistes radicaux (eux-mêmes, à l’exemple de Bilal, l’un de ceux-ci, contredisant parfois leur propre prédication) suffit-elle à tout expliquer ? N’y a-t-il pas aussi, même en creux, comme une déception, voire un profond dégoût, de la société, telle qu’elle se manifeste aujourd’hui ? Le cinéaste, et c’est un des points forts du film, ne juge pas ses personnages. Il les filme comme ils sont et nous interroge tous sur nos propres comportements. Ce n’est pas tant le processus d’embrigadement d’Alex qui intéresse André Téchiné, c’est plutôt l’énigme qui demeure, même après qu’on ait cherché à donner des explications. De ce point de vue, Lila, la petite amie d’Alex, est peut-être encore plus opaque, plus mystérieuse que celui-ci. Sa tenue décontractée jure avec le niqab qu’elle revêt quand elle rejoint le groupe des radicaux. À elle seule, elle ressemble à un grand point d’interrogation qui ne trouve pas vraiment de réponse.