Printemps 2015. Une grand-mère accueille son petit-fils dans son centre équestre au coeur de la campagne occitane, et se trouve désemparée lorsqu’elle apprend qu’il s’est converti à l’islam et s’apprête à partir faire le djihad.
Le terrain était glissant, le dérapage est évité.
Téchiné en effet, traite ici un sujet complexe avec une pudeur rare.
Pas de personnages archétypaux, de caractères outrés et de caricatures attendues, mais des hommes et des femmes profondément authentiques, dont l’humanité est portée avec une justesse rare par la performance souvent remarquable d’acteurs talentueux - que ce soit Catherine Deneuve en grand-mère démunie ou le trio très convaincant qui incarne ce groupe de jeunes radicalisés.
On ne trouvera pas non plus dans « L’Adieu à la nuit » un quelconque jugement, et ce en partie parce que Téchiné a choisi - et c’est sans doute là que réside en partie l’originalité du film - de ne pas mentionner la cause de la radicalisation de ses personnages. Ces trois jeunes sont filmés sur le départ, mus par des idéaux d’héroïsme et de don de soi, et peu importe alors les raisons qui ont motivé leur désir de combattre dans les rangs de l’EI. Certes, le passé d’Alex - le petit-fils - est évoqué par bribes, mais sans emphase ni insistance, et sans se confondre avec une justification didactique de la décision de partir. Et quand un ancien combattant revient sur les raisons de son départ, ce sont des mots bruts et justes que nous livre Téchiné, plutôt qu’un discours aseptisé et timoré.
« L’Adieu à la nuit » questionne donc, en évitant moralisme et didactisme.
On peut également parler de pudeur en ce que « L’Adieu à la nuit » reste, indéniablement, un long-métrage à hauteur d’homme. Un film profondément humain dans lequel le sujet n’est jamais prétexte - ni à la performance d'acteurs ni à l’exercice de style - et qui aborde aussi, avec finesse et distance et sans verser dans le pathos et l’emphase, des thèmes aussi universels que l’amour filial ou la place dans la société.
Une pudeur donc, mais qui n’est synonyme ni de timidité (Téchiné traite le sujet sans détour et évite les poncifs et les clichés) ni de la froideur et de la distance du documentaire. Parce que « L’Adieu à la nuit » n’est précisément pas un film documentaire, mais bien une oeuvre cinématographique. Un film à l’esthétisme certain (on pense aux plans sur les cerisiers en fleur qui émaillent le film ou aux galvanisantes chevauchées dans la campagne occitane), un film qui ne juge pas mais délivre un message d’espoir plus authentique qu’artificiel ou moraliste (rappelons-nous du personnage de Fouad, combattant repenti de retour de Syrie) et qui sait habilement mêler les genres - fable sociale, drame, mais aussi et sous certains aspects, thriller efficace qui maintient en haleine un spectateur rapidement embarqué dans une course contre la montre portée par le quasi-perpétuel mouvement de la caméra.
On regrettera néanmoins les quelques scènes creuses qui viennent desservir le film, comme le parallèle malhabile et agaçant entre un joyeux repas de famille et une austère réunion de jeunes radicalisés, ou l’éclipse inaugurale qui apparaît davantage comme une métaphore poussive que comme un .
Malgré quelques scènes attendues et une sobriété qui peut parfois désemparer, Téchiné livre ici un film juste et sans artifices, qui réussit à traiter avec délicatesse et pertinence un sujet complexe et qui, au-delà du défi relevé, est avant tout profondément humain.