The Witch se voyait accompagner du qualificatif de "conte de la nouvelle Angleterre". On pourrait donc aisément parler d'un conte de l'ancienne Autriche pour Incantations tant les similitudes avec l'absorbant film de Robert Eggers sont légions. On pourrait d'ailleurs parler de copie si les deux n'avaient finalement pas vus le jour quasiment au même moment. Produit en 2017, il est la preuve avec une arrivée deux ans plus tard que le marketing fait parfois mal les choses.
D'ailleurs ce marketing, parlons-en. Pourquoi cette affiche hideuse rappelant les heures glorieuses d'un The Ring, et cet ersatz de Sadako surplombé d'une énième tête de mort habilement dessinée dans le brouillard ? Séduire ? Oui mais qui ? Pour ma part, ce mensonge que j'ai heureusement découvert après le visionnage du film ne fait que renforcer mon intention d'écrire cette critique.
Hagazussa : A heathen's curse de son vrai nom, est pour mon plus grand bonheur à l'opposé de ce que nous suggère ce rendu calibré pour le Direct To DVD. Je vous laisse juger des affiches qui m'ont initialement intrigué et qui servent bien plus les intentions du réalisateur.
Hagazussa est un terme ancien allemand désignant un esprit féminin dans la mythologie nordique qui chevauchait la barrière séparant le monde des dieux de celui des hommes. Il dériva en Hexe, utilisé au XVe siècle durant la période de la chasse aux sorcières en Suisse.
C'est donc un peu plus à l'est, dans un endroit enneigé des montagnes autrichiennes que l'on atterrit, dans les traces d'Albrun, une petite fille élevée par une mère célibataire et solitaire. Sous les effets sonores vrombissants qui joueront pour beaucoup dans l'atmosphère du film, on découvre une œuvre où les images et l'ambiance prennent le pas sur l'ensemble. Le film s'engouffre immédiatement dans un mutisme étrange, les paroles sont rares et les regards précieux pour saisir tout le poids de cette vie de reclus.
Lukas Feigelfeld dont c'est le premier film, nous offre ici un conte historique à l'atmosphère inquiétante loin des effets de manches et autres mécaniques calibrées pour faire bondir le spectateur de son siège. On ne sursautera jamais durant ces 100 minutes qui serpentent entre les saisons, les arbres et les ombres. Le réalisateur autrichien prend son temps pour mieux nous voler le notre. Il préfère suggérer plutôt qu'imposer les horreurs bien présentes pour nous abreuver de sons, de craquements, de murmures, de ténèbres captivantes dont rien ne sortira.
Hagazussa joue sur l'ambiance, sur l'inconnu, sur les croyances et sur les peurs qui en découlent comme le faisait The Witch. Ici, c'est le païen face aux catholiques, le solitaire face aux sociables, la mère célibataire face aux couples, la différence face à la norme qui génère ce malaise latent dans lequel s'embourbe Albrun.
L'actrice Aleksandra Cwen qui interprète notre petite fille devenue adulte apporte énormément à ce climat pesant par ses regards hallucinés et ses yeux exorbités, témoignages et conséquences des horreurs qu'elle va subir et s'imposer à mesure que la folie se fera plus présente.
J'ai pu lire beaucoup de critiques négatives et rarement argumentées sur ce sombre tableau d'une époque révolue, sur ce sort lugubre et lancinant qui s'appuie sur la langueur d'une atmosphère à l'étrangeté sinueuse, des critiques de personnes qui comme moi se sentaient trahies par l'affiche et qui n'ont pas été prises par les méandres et les prémices de cette frénésie.
Personnellement, j'ai trouvé ce voyage lugubre immersif, plongé dans les ténèbres de mon salon. Il s'y passe très peu de choses mais Lukas Feigelfeld a su m'accaparer pendant une heure et demie. Plusieurs scènes, plusieurs images où ombres et lumières se mêlent adroitement se sont frayées un chemin jusque dans mes pensées. D'un corps cadavérique brusquement revigoré et aimant assis sur un lit, jusqu'à un visage semblant en être un autre à la lumière mouvante d'un feu, en passant par un bain lancinant et des cheveux noirs desquels pourraient jaillir l'horreur, le film joue d'une esthétique lugubre qui installe doucement ce sentiment étrange d'une peur latente et insidieuse.
Hagazussa est une glissade lente et contrôlée vers la folie, un beau film dans ce qu'il a de dérangeant, un film qui joue habilement avec l'environnement dans lequel il prend place et qui nous fait contempler la lente agonie d'une femme esseulée.