Il est des hommes qui ne sont pas fait pour le monde dans lequel ils vivent. Joseph Ferdinand Cheval est de ceux-là. Très réservé, limite asocial, car homme de très peu de mot, ce facteur parcourt seul 30km par jours afin de livrer le courrier dans l’arrière-pays de la Drôme. C’est dans cette nature abondante et magnifique, loin de toute présence humaine, qu’il aime à rêvasser librement, inspiré, selon ses dires, par les feuilles et les oiseaux. Un jour, il chute en buttant sur une pierre, il décide de déterrer cette pierre, mais au lieu de la jeter rageusement au loin, il la conserve et commence à bâtir un palais dédié à sa fille Alice.
Lui qui n’a jamais été maçon, lui qui a déjà des journées exténuantes, lui qui est moqué ; il se fait fi de tout et, pierre par pierre, va élever un édifice à nul autre pareil. Son style unique est si particulier qu’un terme devra être créé pour pouvoir le qualifier : architecture naïve.
Durant 33 années, lui qui parait incapable de participer à toute discussion, trouve ainsi un moyen hors norme pour s’exprimer sans retenues et avec une totale liberté.
« L'incroyable histoire du facteur cheval » peut sembler un titre de film pompeux, mais l’histoire l’est vraiment et c’est un plaisir que de se la laisser conter par Nils Tavernier.
La base d’un bon biopic est la ressemblance physique des personnages, Jacques Gamblin avec sa moustache et ses joues émaciées, est tout simplement bluffant de ressemblance avec notre facteur ! Son jeu d’acteur, tout en mutisme, ainsi que son regard incroyable, sont absolument parfaits. Dire qu’il porte le film dans sa sacoche de postier est un doux euphémisme !
Ayant vécu 88 ans (en 1924 cela est rare), il fallait une attention particulière à la réalisation du vieillissement physique du personnage à l’écran. Cela est fait avec soucis du détail, jusqu’aux mains qui changent dans le temps car elles ont été mises fortement à contribution pour édifier ce « palais idéal ».
Il y a du rêve dans ce monument, un mélange d’influences de divers continents et d’architectures, dont certaines sont fantasmées. On peut y voir une œuvre exutoire d’un homme que la vie n’a jamais épargné : il a enterré tous ses proches, enfants inclus…
Laetitia Casta incarne sobrement sa seconde épouse qui a été un pilier fondateur pour Joseph, car c’était une femme compréhensive dont l’amour, aussi fort et résistant que le meilleur ciment, a nullement été éprouvé par les duretés subies et le caractère hors norme de son mari.
Filmé simplement, avec un amour de la campagne, de façon non ostentatoire, en accord avec l’âpreté de la vie de l’époque. Les trucages sont excellents et l’on croit réellement voir la construction du palais dans une nature sauvage profondément altérée depuis. Enfin, les tons ocres, les lumières et le noir profond utilisés font penser à des teintes picturales soignées, ce tableau est rehaussé par une musique absolument superbe et majestueuse.
Cet homme n’était pas en adéquation avec le monde, pourtant, au fond de lui, il a trouvé les bienfaits d’une passion qui, d’abord perçue comme étant une pure folie, est devenue une bâtisse qui perdure au point que le monde entier vient l’admirer.