Deux raisons m’ont poussé à aller voir ce film. D’un côté les éloges des allocinéens, d’autre part la présence de deux noms : Nils Tavernier et Jacques Gamblin, lesquels ont déjà collaboré à l’occasion de l’émouvant "De toutes nos forces". Après, je connaissais (de loin) la bâtisse de ce facteur à travers un reportage vu d’un œil distrait. Et ma foi, je ne regrette pas d’être allé découvrir cette histoire un peu plus en détails. Et même si j’ai été énormément touché par cette histoire totalement atypique, je ne peux coller la note maximale. Pourtant l’histoire est émouvante à souhait, ça je ne peux le nier. Quel destin que celui de Joseph Ferdinand Cheval ! Son histoire, unique au monde, est à la fois belle et tragique et parfaitement soulignée par la très jolie partition des frères Colleu. Bien que très présentes pour coller au plus près de l’intrigue, leurs douces mélodies ne sont en rien démonstratives. Si ce film se déguste sous le signe d’un grand moment de cinéma, on le doit en tout premier lieu à l’interprétation sans faille de l’ensemble des acteurs. Pour ne pas parler de tous, auquel cas cet avis deviendrait beaucoup trop long, je vais me pencher sur les deux acteurs principaux. Evidemment, je vais commencer par le rôle-titre : Jacques Gamblin est tout bonnement sublime ! A le voir, il semblait être fait pour ce rôle tant il vit son personnage, littéralement habité par cet homme considéré à l’époque comme étant un peu fou. Déjà sa démarche particulière sert merveilleusement son jeu, mais cette façon qu’il a de sourire seulement avec les yeux, de ne s’exprimer qu’avec ça tandis que les traits de son visage restent impassibles, je trouve ça super fort. Et ça rentre en totale corrélation avec la psychologie de ce personnage, cet homme si maladroit avec les mots au point de « choisir » de se taire et d’en être devenu taiseux, mais si éloquent par ses actes. Le voir nous gratifier en prime de la scène la plus puissante du film au moment du plus grand drame (le deuxième survenu dans sa vie) n’a rien d’étonnant. Retrouver le comédien à ce niveau n’est pas surprenant, lui qui a pour habitude de s’investir totalement dans son rôle dès lors qu’il y a quelque chose à raconter de vrai et de profond. Laetitia Casta, en lui donnant parfaitement la réplique, est la grande surprise de ce film. Je ne connais pas plus que ça sa filmographie, mais le peu que j’en avais vu n’avait pas vraiment attiré mon attention. Ici, je dois admettre qu’elle a répondu présent pour représenter au mieux la drôle de vie de cette femme entièrement dévouée jusqu’au crépuscule de sa vie malgré diverses désillusions, la principale étant son potager. Oui, j’ai bien dit entièrement dévouée, et ce n’est pas un hasard si Tavernier nous la montre telle la déesse de l’amour Vénus par l’intermédiaire des yeux de Joseph. Si dévouée qu'elle seule peut déchiffrer les états d'âme de son époux, lui qui a pour habitude de ne répondre aux questions que deux ou trois répliques plus tard (quand il y répond) comme pour sonder son interlocuteur. Je crois qu’on peut les féliciter tous deux, comme on peut féliciter les maquilleurs pour avoir réussi à faire traverser le public une bonne trentaine d’années auprès de ces personnages avec beaucoup de réalisme. On peut féliciter également les scénaristes, car il n’était pas simple de faire des choix pour raconter en si peu de temps un curieux périple qui s’est étalé sur autant de temps. Alors le spectateur a droit a beaucoup d’ellipses. Presque trop, la plus regrettable étant celle qui passe sur la dernière tragédie de cet employé des Postes : on ne sait ni où, ni comment ou pourquoi il meurt (ben oui, « il », je ne vais pas vous dire qui non plus hein). Dans tous les cas, Nils Tavernier a su mettre en images cette fabuleuse histoire. Quoiqu’en y regardant de plus près, on n’envie pas l’histoire de ce postier tant elle a été parsemée de souffrances, souvent contenues à l’intérieur avec une dignité quelque peu bancale (dans le bon sens du terme, ou si vous préférez de façon maladroite), signe extérieur d’une personne qui ne se sent pas à sa place dans le monde qui l’entoure mais qui tient à garder une certaine fierté. Chacun se bat selon ses moyens… Mais le cinéaste a su faire preuve de pudeur en détournant la caméra lors du grand drame, celui-là même qui a amené la scène la plus dure. A côté de ça, il n’a pas son pareil pour nous montrer la nature dans sa beauté la plus éblouissante par des plans « nature », et amène définitivement le spectateur dans un intervalle hors du temps et loin de la frénésie des grandes villes tantôt en accrochant dans la postérité de carte postale ce village de la Drôme tel un tableau, tantôt en s’attardant sur de l’eau dans laquelle se dessinent des ronds encerclant un reflet. Et puis il a su s’attarder aussi sur les détails de l’œuvre d’une vie, et c’est tant mieux puisque c’est cette construction qui suscite encore un siècle plus tard l’admiration de tous, sans oublier de montrer les blessures provoquées par la manipulation de la chaux. Il en ressort une magnifique photographie, laissant durablement dans notre tête des images sublimes comme si notre cerveau se laissait aller aux captures d’écran. Alors oui il y a de très belles scènes, mes préférées étant ces moments intimistes comme le moment partagé à contempler les étoiles, ou lorsque Philomène rejoint son époux dans le palais au beau milieu de la nuit. Et puis j’ignore si c’est parce que le personnage principal était un postier, mais on pourra remarquer que Tavernier a inclus un petit clin d’œil que je trouve bienvenu à Jacques Tati et son film "Jour de fête" quand Joseph se débat avec une mouche. Dans tous les cas, si vous n’avez jamais visité le site de Hauterives, il est très probable que ça vous donne envie d’aller voir cette curiosité de vos propres yeux, chargés que vous serez sans doute par une certaine admiration quant au travail abattu et à la détermination qu'il aura fallu.