Après une bande annonce qui semblait offrir deux minutes de chien andalou pyromane et un accueil royal par la presse américaine, on attendait de pied ferme ce film et sa promesse d’une ambiance malsaine à souhait. Alors ? Là hype a-t-elle encore frappé ?
Disons le très clairement, les deux gros problèmes d’hérédité sont sa bande-annonce (qui contient des images de la toute fin du film, mais d’où tu fais ça !) et le public de gros lourds boutonneux qu’elle a ramenés, incapable de comprendre pourquoi ça ne ressemble pas au dernier Destination Finale. Passé les deux plaies de ce siècle, reste le sublime constat que Ari Aster vient de réaliser un premier film comme Mozart a composé sa première symphonie, peut être ma meilleure expérience horrifique en salle à ce jour. Bref, Papa, Maman, je claque tout et je pars vivre un mois au ciné. On en parle quand je reviens.
Hérédité s’ouvre sur un carton, une grand-mère est morte à la suite d’une longue maladie et laisse sa fille, son mari et leurs enfants, un ado en plein âge bête et une gamine flippante, s’ajoute à l’héritage une longue série de troubles psychiatriques qui semblent se transmettre de génération en génération…
Pas la peine d’en dire plus, Hérédité ne repose pas vraiment sur un monstre ou un high concept (style l’exorciste : on assiste à un exorcisme, d’où le titre du film, pas la peine d’avoir l’air surpris). En fait il semble longtemps hésiter entre angoisse et horreur et s’il bénéficie d’une belle montée en puissance, ses thèmes, son rythme « lentement, je suis pressé », son économie de moyens et ses idées de réalisation visent l’amateur de bons films plutôt que le fan de train fantôme. Ainsi, les 45 premières minutes m’ont bien plus rappelé à A History of violence de David Cronenberg en terme d’ambiance qu’un confrère de Freddy ou Jason.
Bien sûr le titre et le pitch de départ indiquent que tout se passe dans cette famille et leur granse maison nichée au sein d’une forêt loin de tout – ce qui est toujours une bonne idée dans ce genre de films – mais le scénario qui se dévoile petit à petit sait abattre ses cartes au bon moment. Le passage d’un acte à un autre se fait par des trouvailles particulièrement osées, qui prennent le spectateur à revers et font drifter le récit en angle droit. Pourtant pas de retournement à deux balles ou de jump scare comme dans un Saw 24 ou le Conjuring Cinematic Univers, là on est sur de l’angoisse à papi, biberonné à Rosemary’s baby ou The Ring. Le film prend son temps pour faire monter la sauce, poser ses personnages et ses situations, amener une routine presque redondante pour pouvoir y introduire brusquement le bizarre et le malsain. Le contrôle que l’on a sur des choses que l’on croyait acquises nous est arraché par un spectre hideux qui sait parler à nos angoisses. Avec une amplitude folle, on passe du thriller à l’humour grinçant au grand-guignol puis à l’horreur psychologique en l’espace de deux scènes. Le jeu exceptionnel de Toni Collette, toujours juste même dans ses transports les plus violents, quelque part entre Frances Mc Dormand et Shelley Duvall dans Shining, restera dans les annales des performances marquantes.
Cette actrice pas vraiment connue dans le genre horrifique (un second rôle majeur de Sixième Sens et Fright Night mais surtout des tas de performances notables comme dans The Hours ou Little Miss Sunshine) incarne ici un personnage complexe, une femme au caractère bien trempé, entre ambivalence et cadavres dans le placard, auquel on s’attache au moins autant que l’on tient à connaître le fin mot de l’histoire. Elle éclipse d’ailleurs le reste du casting, un Gabriel Byrne aboulique notamment (Usual Supect, Miller’s Crossing, bref pas un débutant) ou le fils au charisme d’huitre tiède ainsi que la gamine étrange, presque des caricatures. Mais il semble que tout soit calculé : les relations entre les personnages, où même avec l’environnement inhabité qu’ils occupent, dégagent une atmosphère générale délétère. Une sorte de cousine éloignée des ambiances bizarres d’un Lynch ou à d’un Lanthimos parlant famille et déterminisme (-> Canine ou Mise à mort du cerf sacré). Relativement épuré, le film réussit à transformer son microcosme en une oppressante prison à ciel ouvert.
Deux éléments renforcent cette impression d’écrasement. La bande-son, à deux pas de la musique bruitiste qui a tout compris pour déclencher le malaise sans devenir lourde ou étouffante, signée Colin Stetson, un nom ajouté à la liste des gens à suivre, et enfin la réalisation : boudiou, la belle bête.
Ari Aster, scénariste/réalisateur de six courts-métrages avant Hérédité a sacrément réfléchi à son projet et ça se sent. On est sur du réal maniaque comme il faut. Un foreshadowing aussi osé que poussant à un revisionnage immédiat n’est que la partie émergée de l’iceberg : les idées de cadrage pour donner l’impression que tout se passe dans une maison de poupée (du tilt-shift aux plans séquence captant des déplacements millimétrés), le poisseux d’une esthétique païenne entre Rob Zombie et Jodorowsky dosé à la perfection, les fondus enchaînés et un sens aigu de l’ellipse, c’est tout simplement la naissance d’une « patte » qui nous est offerte. Le film n’étant pas une production des boîtes américaines qui nous vendent de l’horreur comme un supermarché vend du steak haché : Blumhouse (Get out, Sinister, Insidious) ou Platinum Dunes (American Nightmares, Ouija, Dora l’exploratrice), il y a dans Hérédité une liberté dans les thèmes, la construction et le rythme qui défriche des territoires inexplorés dans l’angoisse là où les autres ont trop tendance à tourner en rond. C’est sûr, le film est là pour déstabiliser donc il se tape une très mauvaise côte auprès du public, 58 % d’avis favorables sur Rotten Tomatoes contre… 92 % pour la presse !
Au final, on comprendra donc que je mets un hiatus, s’il serait faux de dire qu’hérédité n’est pas un film d’horreur, c’en est un et un très bon, il est avant tout l’histoire d’une femme qui a du mal avec ses enfants car elle-même a eu beaucoup de mal avec sa mère, qui a peur de ce qu’elle est et de ce qui a été transmis à sa progéniture dans laquelle elle voit le portrait en creux de cette grand-mère dont l’ombre plane sur tout avant de s’épaissir et de faire tomber ce petit monde dans un pur cauchemar. Et c’est parce qu’il raconte ce récit avec brio qu’Hérédité est une de mes meilleures expériences de ciné, tout comme Shining est un film qui m’a marqué pour son personnage principal tourmenté par sa frustration d’écrivain raté plus que pour ses gamines découpées. Derrière l’épouvante, il y a une réalité fantasmée qu’Ari Aster décortique, un mal-être qui parle à tous, couronnant Hérédité au panthéon de l’épouvante.