Je sais que j’ai souvent affirmé que les comédies vieillissaient mal, qu’une quinzaine d’années suffisaient pour ringardiser celles qui se piquaient d’être dans l’air du temps : il faut croire que “Certains l’aiment chaud�, considéré comme un des plus grands films du cinéma américain, ou au moins comme l’une de ses meilleures comédies, bénéficie du privilège de l’intemporalité...ou que cette spécificité l’autorise à ne pas être soumis aux mêmes règles que le commun des bobines. Sur le papier pourtant, rien ne semblait distinguer le film de Billy Wilder des autres comédies légères de son temps, avec ses deux musiciens qui, pour avoir été les témoins involontaires d’un réglement de comptes, sont obligés de se cacher, travestis en femmes, au sein d’un orchestre féminin en tournée. Evidemment, même en jupons, ils restent des hommes, avec toutes les pulsions d’hommes qu’on pouvait leur prêter à cette époque, et les situations, les méprises et les double-sens qui naissent de l’absurdité de la situation séduisent surtout pour leur charmant côté désuet, même si on remarque au passage que les Appatow et Rogen d’aujourd’hui ne furent pas les premiers à aligner les gags et les tirades comiques à un rythme aussi frénétique et épuisant. En d’autres termes, puisque cet humour est devenu plus indirect, qu’il n’est jamais vulgaire au regard des canons d’aujourd’hui et qu’on le perçevrait presque comme “intellectuel� à six décennies d’écart, il ne faut pas s’attendre à se taper sur les cuisses en s’esclaffant bruyamment, même si ‘Certains l’aiment chaud’ reste incontestablement amusant d’un bout à l’autre : c’est qu’on savait se tenir à l’époque ! Reste que pour ceux qui sont sensibles à cet aspect des choses, la qualité d’écriture - les réparties finales figurent parmi les plus célèbres de l’histoire du cinéma - l’intelligence des dialogues, les quiproquos réglés avec une précision d’horloger offrent aujourd’hui le témoignage d’un artisanat (presque) disparu. Si le côté un peu sulfureux du film n’apparaît plus aussi clairement à l’heure actuelle (si ce n’est, paradoxalement, dans le côté gentiment paternaliste de l’histoire, comme dans n’importe quel film de l’époque, du reste), il faut garder à l’esprit que si, en 1959, le code Hayes chancelait, il était toujours officiellement en usage et qu’il n’était décidément pas fréquent de parler ouvertement d’hommes qui se déguisaient en femme... et encore moins d’hommes qui y prenaient goût, même si le discours très détendu que tient le film sur l’homosexualité fut suffisamment indirect pour que la censure n’y trouve rien à redire. Et puis, il y a Marilyn évidemment, comment l’oublier ? On ne laisse pas de telles traces dans l’histoire du cinéma et dans l’inconscient collectif, simplement en étant une brillante actrice (sans être mauvaise, elle n’en était pas une) ni même une des plus belles femmes du monde (après tout, les goûts et les couleurs…) mais en possédant ce petit quelque chose d’impalpable et pourtant bien réel, que les autres n’ont pas. Il suffit de regarder ‘Certains l’aiment chaud’ pour se convaincre que, pas plus que Tony Curtis feignant le désintérêt malgré la buée qui recouvre peu à peu ses lunettes, il n’est humainement possible de ne pas tomber amoureux de Sugar Kane Kowalczyk, a fortiori dans cette robe hallucinante qui ne laisse aucune place à l’imagination...