Très bon film d'Alfred Hitchcock tout en simplicité et en efficacité, ce qu'on peut appeler une très bonne mayonnaise : il monte son petit manège petit à petit, pièce par pièce, et noue un vrai suspense à base de dialogues bien construits et bien agencés. Une idée très originale cela dit - et même si elle provient en partie d'un roman de Patricia Highsmith - : une rencontre entre deux hommes, un hasard, un frôlement de pieds dans un train, et une discussion infernale qui se met en place et ne s'arrête qu'au dénouement du film. Voilà l'idée et le centre de cette discussion (dont on sent bien quelques fois la tension un peu gênante, due à l'intention d'Alfred d'aborder aussi le thème de l'homosexualité (la rencontre des pieds, qui annonce comme une suite de rendez-vous : un verre, un repas etc. Seulement le personnage principal, joueur de tennis interprété par Farley Granger, n'est manifestement pas intéressé, et repousse les avances du courtisan, interprété par Robert Walker)) : deux inconnus s'échangent leurs meurtres, et échappent ainsi, chacun, à une condamnation, puisqu'ils n'ont plus aucun mobile à tuer le proche qui les encombre sacrément. La rencontre-flirt pourrait s'arrêter là, seulement voilà : le courtisan-Walker est fou à lier (malgré la très bonne contenance sociale qu'il laisse donner : très bonne expression, langage soigné, cohérence dans les idées...). Et au lieu de rendre immédiatement le briquet au tennisman, il le garde pour plus tard, le conservant comme dernier espoir amoureux (briquet qui s'avérera central dans toute la dramaturgie du film). Bon bref je passe un peu : le fou commence à harceler le tennisman pour réaliser le double meurtre croisé, croyant que ce dernier a accepté le plan dans le train. Puis il décide de tuer la femme du tennisman, par ailleurs hyper gênante pour lui, puisque elle refuse de divorcer comme elle le désirait auparavant, c'est-à-dire que le fou réalise, sans le consentement du tennisman, la moitié du plan, et requiert de l'autre partie qu'il tue en retour son père, qui veut l'envoyer en maison de santé, enfin à l'hôpital psy quoi. Bref le film révèle alors sa dimension psychologique importante, puisque le tennisman est, n'est-ce pas, complètement coincé : ne peut pas dénoncer l'autre fou, parce que l'autre fou a gardé le briquet (ce qui implique une connivence, et rétablit l'existence du mobile pour le meurtre de sa femme).
Bon c'est la première fois où j'en dis autant sur le scénario d'un film, et je m'en excuse - je n'ai pas donné la fin cela dit) ; je rebondis un peu sur la forme : excellent film, qui crée une tension de manière croissante avec des scènes jamais trop longues ou inefficaces : tout est nécessaire, rien en excès ou en défaut. Mention spéciale à Walker qui joue excellemment bien le fou furieux sous le masque du mec un peu paumé dans la vie. Mais les autres perso jouent bien (Leo G. Caroll, Patricia Hitchcock ou encore Ruth Roman), pas de souci de crédibilité. On a vraiment l'impression que le fou pourrait avoir n'importe qui (et donc nous-mêmes), que n'importe qui pourrait "coincer" une personne rencontrée au hasard : et en cela l'intention du film est très bien passée. Sinon une grande place est laissée aux sens : film très tactile (thème des mains et de l'étranglement), où le regard et les jeux de regards sont très présents sans tomber dans des longueurs ou des clichés invraisemblables. Place aussi grande laissée au discours, au langage : et à ce petit jeu, l'intention est de montrer que la folie maîtrise aussi bien les mots que la non-folie. C'est même plus pervers - et très foucaldien dans l'esprit, big up Michel - : la folie parvient à déranger la raison sur son propre terrain, dans un stratagème rationnel, parfaitement construit, selon une logique absolument méticuleuse. En d'autres termes, la folie plus rationnelle que la raison.
Sinon il y a ce qu'il faut d'action, avec tout de même un meurtre, et puis une dernière scène assez incroyable pour l'époque je suppose, puisque la scène du manège qui se barre complet en couil... a été réalisée sans effets spéciaux... sympa la prime de risque pour le petit papi qui passe en-dessous... Et puis le suspense voire le stress atteint quand même vraiment bien le spectateur, ce qui donne l'impression d'une vraie implication physique dans le film. J'avoue que c'est assez efficace. Bon évidemment l'aspect libido est laissé de côté pour des raisons d'époque, mais y'a quand même un peu d'embrassades romantiques (film tactile je l'ai dit). En fait la libido s'exprime surtout sous forme d'évocations : homosexuelle entre les deux protagonistes mâles, hétéro, mais avec une clause conditionnelle entre le tennisman et sa nouvelle compagne, puisqu'il faut attendre le dénouement du premier crime pour éviter les soupçons.
Zou, 17/20
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